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Des idées pour vous

La géographie 2012/2 n° 1545, l’art de voyager selon montaigne.

  • Par Patrick Drevet

Pages 16 à 19

Article de revue

1 Partir, verbe à lui seul tout un programme et qui ne s’entend guère qu’avec point d’exclamation: un impératif inhérent à nos gènes, une obligation faite à notre condition d’êtres mobiles et voués à la connaissance.

2 Dès l’enfance, partir était pour moi une aspiration lancinante qui me saisissait, non sans une certaine angoisse, à la vue de personnes que je voyais voyager et qu’auréolaient à mes yeux les espaces inconnus où je les imaginais s’être rendues. Mais elle pouvait me prendre aussi bien, et tout aussi fort, pour des cantons assez proches qui, soudain, appelaient mon exploration, m’adressaient les signes d’une convocation. Il en était ainsi des gorges d’une rivière peu éloignées de chez moi, ou des coins de campagne à peine à l’écart des trajets de la voiture de mon père mais qu’il évitait toujours, et m’y rendre, je le savais, c’eût été pleinement « partir ».

3 Les virées dominicales pour un pique-nique, les excursions scolaires, les voyages parfois longs pour rejoindre une villégiature, ces déplacements-là ne répondaient pas à l’injonction de partir. Ils restaient des escapades domestiques, ils se passaient à l’intérieur d’une enceinte délimitée à l’image du hamster dans sa cage tournante. Partir exige de passer outre, de sauter par-dessus les barrières. Partir commence par une brisure. L’étymologie dit ceci : partir a la même racine que partage et que séparation. C’est d’abord quitter comme l’écrit Haraucourt selon qui « Partir, c’est mourir un peu ». Mais partir est également du même radical que « parturition », c’est-à-dire « enfantement ». Partir, c’est ce qui est demandé pour naître, pour croître et s’accomplir.

4 Je n’allais pas bien loin quand je parvenais à échapper à la surveillance de mes parents et, tel Pascalet, le héros de L’enfant et la rivière de Henri Bosco, pouvais me rendre dans ces recoins plus ou moins interdits qu’étaient les berges du cours d’eau ou les champs à papillons, mais je le vivais à chaque fois comme un acte décisif et déterminant. Partir a quelque chose à voir avec la fugue. Il le faut pour que tous les sens soient en éveil et que le monde exploré se découvre dans la proximité intense de la rencontre. Il n’y a pas de « partir » sans l’option de ne pas revenir. L’anxiété liée à un départ est l’excitant à même d’aiguiser la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher, de rapprocher le monde et de mettre en contact. Ce que je ne voyais ni ne ressentais de la nature dans mes promenades accompagnées m’assaillait de façon oppressante lors de mes fuites solitaires. J’avançais au cœur d’une chaleur que je n’avais jamais éprouvée aussi palpable; je respirais des senteurs qu’il ne m’était jamais arrivé de distinguer aussi nettement; les formes et les couleurs des plantes, des écorces, des pierres me subjuguaient dans leur variété infinie; les souffles et les rumeurs qui environnaient ma progression témoignaient d’une multitude de vies furtives, plus ou moins minuscules, plus ou moins menaçantes, qui démultipliaient l’espace; l’atmosphère était traversée de courants, coupée de brusques lames de silence, concentrée par plaques sur des activités d’atelier… Tout était pour la première fois. Je découvrais en m’attendant toujours à découvrir.

5 Partir comme je le faisais avec mes proches n’était pas partir mais « faire un tour »: ainsi doit s’entendre le tourisme. Or, adulte, et dans le contexte actuel du monde surtout, est-il possible d’échapper à la condition de touriste, est-il possible de partir ?

6 Plus encore que dans les années 1950 au cours desquelles Claude Lévi-Strauss annonçait, au premier chapitre de Tristes tropiques , la fin des voyages (« Voyages, coffrets magiques aux promesses rêveuses, vous ne livrerez plus vos trésors intacts. Une civilisation proliférante et surexcitée trouble à jamais le silence des mers. Les parfums des tropiques et la fraîcheur des êtres sont viciés par une fermentation aux relents suspects, qui mortifie nos désirs et nous voue à accueillir des souvenirs à demi corrompus. »), il n’est plus aucun territoire qui n’ait été atteint par les artefacts de la civilisation occidentale. Nous circulons désormais partout chez nous. L’exotisme appartient au passé. Même les paysages ont perdu quelque peu la faculté de nous surprendre. Partir est devenu un produit de consommation que les agences de voyage s’entendent à formater au gré des fantasmes de leurs clients. On ne part plus pour un pays à découvrir, on achète un circuit. Les conditions dans lesquelles les moyens de transport modernes nous permettent de voyager contribuent à rendre l’aventure et l’évasion impossibles. Derrière la vitre du car climatisé, le touriste ne voit pas davantage le monde que devant l’écran de sa télévision. Il ne quitte pas son salon, qu’il transporte partout avec lui. Pour peu que l’on veuille laisser place à l’improvisation, au hasard, on ne part pas sans guides. Nous voyageons avec des yeux et des sens qui ne sont pas les nôtres.

7 Il reste pourtant dans le désir de voyager, dans l’envie même de voir ce que d’autres ont vu, dans la volonté de constater par nous-mêmes ce dont nous avons entendu parler, ne serait-ce qu’un embryon de l’aspiration à « partir ». Même édulcorée, nous ne perdons jamais tout à fait cette appétence à l’exploration, et qui explique que la jeunesse soit si gyrovague. Mais alors peu importent les destinations et il n’est pas même besoin qu’elles soient lointaines, Le lointain est ailleurs que dans la distance. Il est dans la profondeur de ce qui est vécu, dans l’intensité de la rencontre. Partir rejoint l’art de voyager selon Montaigne qui, à l’étranger, tenait à se mêler au plus près des us et coutumes de l’autre et s’en voulait imprégner, changer, altérer presque.

8 Partir est aussi se laisser gagner par l’aimantation qu’exerce mystérieusement l’inconnu d’une contrée sur notre imaginaire. Claude Bonnefoy évoque ainsi « l’arrièrepays », zone indéfinie qu’une intuition irraisonnée nous propose comme lieu de complétude ou de réconciliation. Avec ce qu’il qualifiait de « chambre double », Baudelaire exprimait aussi l’idée d’une réalité latente qui ne demandait que notre engagement et notre application pour devenir accessible. Une telle sensation caractérise bien sûr l’état mélancolique. Une démarche positive qui consiste à chercher au monde le canton dont nous avons à tort ou à raison le sentiment qu’il nous attend.

9 Mon enfance dans les forêts du Jura me prédisposait sans doute à voir dans l’Amazonie le monde où vivre pleinement ce qui me poussait à partir, et dans les Indiens qui la peuplaient une forme d’humanité que j’aurais voulu atteindre. Dans le même ordre d’idées, la lecture du Livre de la jungle a façonné ma fascination pour Angkor, cité perdue surgissant d’entre les branches et les racines d’une végétation luxuriante. Il m’a fallu bien des années pour me rendre sur ces lieux marquants de mon imaginaire. Mais ce sont les destinations vers lesquelles j’ai vécu la sensation de partir, contrairement aux autres, où je n’ai fait que me rendre en visiteur.

10 Partir pour l’Amérique latine ou l’Indochine a été pour moi un voyage dans le temps. Dans Le corps du monde , le prétexte que je m’étais donné, suivre les pas de Joseph de Jussieu accompagnant les académiciens chargés de calculer la circonférence de la Terre m’y disposait mais, devant les paysages volcaniques de la Cordillère, sous la flore bruissante de l’Amazonie, sur les étendues hérissées de palmiers de la côte pacifique, je pouvais me mettre à la place d’un découvreur du Nouveau Monde. En Asie du Sud-Est, les maisons sous les palmeraies, les pales des ventilateurs brassant un air brûlant, les méandres des rivières limoneuses péniblement négociés par des embarcations surchargées et poussives, au milieu de pêcheurs submergés par les remous, les habitations de tout type haut perchées sur pilotis au sommet des berges, ou rassemblées en villages flottants, les chapeaux de paille aux bords ébarbés des hommes, ceux de toile avec couvre-nuque des femmes, ou leurs chapeaux coniques au Vietnam, autant d’images qui, par le biais de la mémoire collective, me ramenaient au passé colonial ou me portaient à me croire plongé dans un roman de Conrad.

11 Comme le héros de ce conte hindou qui, au terme de longues épreuves, parvient au lieu où lui était promis la révélation et n’y trouve qu’une flaque d’eau faisant miroir, partir conduit à rencontrer son reflet dans le spectacle de la vie humaine, quelque étrangère et éloignée qu’elle puisse paraître. On est subjugué par les extraordinaires facultés d’adaptation de l’homme aux contraintes des milieux où il lui faut tenter de vivre. Paysans de l’altiplano andin et mineurs de Potosi creusant leurs galeries à la hauteur du Mont-Blanc, chasseurs-cueilleurs de la forêt amazonienne se coulant entre les feuilles avec des reptations d’anacondas, pêcheurs du Tonlé Sap tous les jours de la semaine sur l’eau et ceux de la rivière de Battambang s’immergeant dans le courant boueux avec leurs nasses et leurs filets, rizicultrices du Tonkin piquant et repiquant les pousses dans des parcelles inondées qui se juxtaposent sur des centaines de kilomètres, figures si différentes qu’on en douterait presque qu’il s’agit du même être, et pourtant l’on sent bien que, né à leur place on aurait dû faire comme eux et, encore que cela paraisse inconcevable, qu’on en aurait été capable.

12 À l’inverse, ces populations restées tributaires de leurs conditions de vie, animées de croyances dont les manifestations nous sont énigmatiques, il y a là de quoi relativiser le pessimisme nostalgique de Lévi-Strauss. Les bus qui sillonnent laborieusement la panaméricaine ou les routes encombrées d’Asie sont équipés de lecteurs offrant aux cholitas à tresses ou aux passagers khmers des films dont les personnages et la trame, pour médiocres qu’ils soient, se révèlent universels. Les toits des villages flottants et des maisons sur pilotis sont hérissés d’antennes. Mieux : la mode du jean à taille basse s’est répandue jusque chez les jeunes pêcheurs du Cambodge.

13 Cette convergence des désirs à travers des traditions si ancrées qu’elles subsistent malgré tout dans leurs diversités foncières est ce que les hommes ont le mieux en partage. Le statut de touriste, en dehors du cas où il est envisagé comme mine à dollars, suscite des rencontres assez fulgurantes, parce que l’on est d’autant plus tenté de se rapprocher de l’autre qu’il est plus différent. Je me souviens d’Aldomar, mon guide en Amazonie, de Tham, mon chauffeur de tuk-tuk à Phnom Penh ou de Hùng, jeune cuisinier vietnamien au marché aux crabes de Kep. Tous avides de la langue française et de ce qu’elle représentait de possible pour eux, ils ne désiraient que quitter leur pays tandis que j’aurais volontiers souhaité y rester. Rencontres au cours desquelles, par un cheminement inverse, les mêmes désirs de partir et d’atteindre ce que l’autre représente se croisent, nous éloignant au moment même qu’ils nous réunissent.

14 Plus je me suis approché des êtres, au cours de mes voyages, et dans les villes surtout, plus j’ai perdu le sentiment d’être parti, et ce n’est qu’à d’infimes détails que je reprenais conscience de me trouver ailleurs: les colibris en guise de moineaux à Quito, le passage criard des aras au faîte des frondaisons de Lima, la gorge marquée de petits points blancs des pigeons de Hong Kong, les iguanes du quai Sisowath à Phnom Penh. Partir ne conduit pas au monde originel et inaltéré auquel on aspirait mais, expérience que l’on fait dans l’enfance quand la sensibilité est toute neuve, place dans les conditions de s’étonner des choses et de ressentir la vie plus intensément, comme la première fois.

Citer cet article

  • DREVET Patrick ,
  • Drevet Patrick ,
  • Drevet P. ,

https://doi.org/10.3917/geo.1545.0016

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Voyage en Philosophie

voyager dissertation philosophie

Première intervention : Michel Tozzi  

Philosopher, une aventure, l’upn a décidé cette année de choisir la thématique du voyage, dans la continuité des réflexions des années passées sur la méditerranée. nous avons visité celle-ci comme le lieu de naissance de notre civilisation occidentale, articulant le gréco-romain et le judéo-chrétien, sans oublier dans l’histoire des idées l’influence notable de la pensée arabe. nous évoquons cette année le voyage d’ulysse, qui est le récit d’une formidable aventure., nous avions convoqué les années passées la philosophie grecque. ce thème du voyage est-il pertinent en philosophie  la philosophie est-elle un voyage, et est-elle, puisque nous avons lié les deux notions, une aventure, celle de la pensée , le voyage est un déplacement d’un point à un autre, assez éloigné ; l’aventure est une suite d’événements plein d’imprévus, parfois de risques. il peut être intéressant d’utiliser les métaphores du voyage et de l’aventure pour parler de philosophie., prenons la métaphore du déplacement. philosopher est toujours se déplacer. la  métaphore de la marche  est d’ailleurs souvent utilisée en philosophie, qui est une dé-marche [1] . se déplacer, c’est partir d’un lieu  pour aller ailleurs. en philosophie, ce lieu d’où l’on part est le  préjugé , ce que l’on pense spontanément avant d’avoir réfléchi, cette réponse à une question que l’on ne s’est pas posée, cette certitude d’être dans le vrai sans avoir administré la preuve. une pensée toute faite empruntée à notre famille, notre milieu social, notre civilisation, tous ces conditionnements intellectuels qui nous formatent aux stéréotypes de genre et de race, au prêt-à-penser conformiste, à l’idéologie dominante, à la pensée unique, à grand coup de médias, de publicité, de propagande, ce que socrate appelait le sophisme, l’art de nous faire croire sans souci de vérité. ce lieu de départ est aussi  l’impensé , tous ces présupposés non explicités qui font tenir une pensée, sans conscience ni connaissance de ce qu’elle implique en amont et que l’on suppose acquis, ni des conséquences qu’une idée entraîne…, philosopher, c’est partir de ces lieux pour  aller vers ailleurs.  un ailleurs qui n’a pas le même statut épistémologique (du point de vue de la connaissance) que le point de départ, un ailleurs valorisé, une promesse… vers où donc vers un double horizon :, -  un horizon de sens , parce que l’on cherche à  comprendre  le monde dans sa complexité et ce que l’on vit, ce qui nous arrive dans une existence où nous avons été « jeté-là » (heidegger) sans l’avoir choisi (sens-compréhension), et pour s’ orienter  dans la vie (kant), existentiellement, éthiquement politiquement (sens-direction) ;, - un  horizon de vérité , cette boussole qui indique ce vers quoi doit tendre le philo-sophos, l’ami du savoir. le philosophe est donc un chercheur, confronté à des problèmes à résoudre dont il ne sait qu’à la fin, s’il y parvient, la solution., philosopher, c’est le trajet d’un sujet en projet de sens et de vérité., ce déplacement en philosophie se fait, tout au moins en occident, avec comme bagage la  raison , qui indique la façon de se déplacer.  se déplacer en raison  implique une  méthode , par exemple pour socrate le questionnement et la maïeutique, pour platon, hegel ou marx la dialectique, pour descartes le doute systématique et radical, pour nietzsche le soupçon, pour dewey l’enquête etc. ce sont des manières rigoureuses de se déplacer, pour  avancer méthodiquement et surement  vers le but recherché. mais ce déplacement, s’il se fait vers un horizon de vérité, est une  aventure . on se déplace en voyage généralement pour aller quelque part, et même si on prend quelque chemin de traverse, il finit par arriver à rome. or un horizon n’est pas quelque part. on sait que pour les sens, quand on marche, l’horizon c’est toujours plus loin. dans un horizon de vérité, on sait  vers  où l’on va, mais sans savoir exactement  où , ni si l’on y parviendra, ce qui fait de cette quête une aventure pleine d’imprévus et de risques., le risque, c’est la perte de nos certitudes, de nos points d’appui pour comprendre et agir, l’effroi du doute, la désorientation, le scepticisme radical de la connaissance (pyrhon), le pessimisme existentiel (schopenhauer) ou le nihilisme, le relativisme des valeurs et la mort de dieu (nietzche), toutes d’ailleurs positions philosophiques., philosopher, c’est spécifiquement se confronter à des problèmes (problema en grec signifie difficulté), dont les enjeux humains sont tels qu’il faut impérativement y répondre, alors que ces questions sont ardues à penser, avec des contradictions voire des apories, et sur lesquelles les plus grands penseurs divergent., la question que nous avons décidé de traiter, c’est de savoir si dans les bagages obligés, il y a les philosophes et l’histoire de la philosophie ; où si l’on peut,  tout au moins dans les premières étapes du voyage, se contenter de l’expérience que l’on a déjà acquise dans sa vie,  comme support de réflexion, et de certaines rencontres dans des lieux appropriés comme autant d’étapes et d’occasions sur le long chemin., je soutiendrai le point de vue que l’on peut apprendre à philosopher au départ, c’est-à-dire dans l’enfance et l’adolescence, mais aussi commencer à philosopher, adulte, sans faire de la convocation des philosophes un passage incontournable, penser par soi-même, nous entendons par pratique philosophique d’une part, dans la tradition de l’antiquité grecque, la recherche du bonheur par une attitude sage, d’autre part, c’est la tradition philosophique occidentale, l’exercice d’une réflexion rationnelle sur les problèmes fondamentaux que se posent les hommes, et que leur pose la vie. ces problèmes s’articulent  à partir de certaines notions-clefs, comme la liberté, la vérité, le sens de la vie et de la mort, le temps, mon rapport au monde, à autrui, à moi-même etc., et à partir de certaines questions comme celles que formulait kant : « que puis-je savoir (question de la connaissance)  que dois-je faire (question de la morale et de la politique)  que m’est-il permis d’espérer (question de la religion, de l’utopie)  qu’est-ce que l’homme (qui suis-je )  »… nous parlerons ici essentiellement de cette seconde pratique, car si elles étaient très étroitement liées dans l’antiquité, ce lien s’est historiquement distendu chez nombre de philosophes., apprendre à penser par soi-même en philosophant, de nouvelles pratiques philosophiques sont nées à notre époque, dans la cité (ex : cafés philo, ciné philo) et à l’école (ex : philosophie avec les enfants et les adolescents) [2] . elles ont les mêmes objectifs que ceux poursuivis par les philosophes :, - s’entraîner à  penser par soi-même , à acquérir une  autonomie de la pensée.  penser par soi-même implique de prendre conscience de tous ses conditionnements intellectuels, venant de son milieu familial, social, plus largement civilisationnel, de pratiquer le doute et le soupçon vis-à vis des idées dominantes, et vis-à-vis de ses idées spontanées, surtout, c’est le plus difficile, quand ce sont des opinions auxquelles on est fortement attaché, parce qu’elles sont fortement enracinées. c’est un effort constant à reprendre sans relâche,  contre ses propres certitudes, en cultivant la perplexité, la culture de la question, le sens de la complexité du monde et des problèmes… cette autonomie consiste à se donner des idées réfléchies, argumentées. elle s’acquiert en se confrontant à ceux qui ne pensent pas comme nous et ont de bonnes raisons intellectuelles de le faire. - il s’agit d’une émancipation   intellectuelle  par rapport aux préjugés, au prêt-à-penser conformiste, aux pressions de la publicité, de la propagande, et même des maîtres-à-penser., s’émanciper consiste à sortir de la tutelle, à se libérer de ceux qui pensent pour nous, et même comme nous., ces nouvelles pratiques reprennent le mot d’ordre de diderot : « rendre la philosophie populaire  », en la sortant de son domaine universitaire spécialisé, pour rendre accessible au maximum d’enfants et d’adultes  l’apprentissage du philosopher . c’est dans une telle perspective démocratique d’apprentissage que nous proposons une définition du philosopher : « philosopher, c’est, dans un rapport impliqué au sens et à la vérité pour comprendre mon rapport au monde, à autrui et à moi-même, tenter d’articuler dans ma pensée trois processus : (me) questionner et problématiser, pour mettre en question toute affirmation tenue pour certaine et la mettre à l’épreuve du doute ; définir et conceptualiser des notions et des distinctions conceptuelles pour savoir de quoi l’on parle exactement ; argumenter pour savoir si ce qui est dit est vrai, en justifiant rationnellement mes propos, en faisant des objections pertinentes et en répondant à celles d’autrui »., penser avec et contre les autres, ces nouvelles pratiques philosophiques (npp) ont en commun de  privilégier le dialogue, la discussion, la confrontation avec les autres.  elles fonctionnent sur le postulat que l’on peut  élaborer sa pensée et s’enrichir dans l’interaction verbale, en se frottant à l’altérité et la multiplicité des points de vue. si l’on peut apprendre à penser en réfléchissant dans la solitude (dans son poêle comme descartes ou sa tour comme montaigne), et en écrivant devant sa page blanche, ou en lisant des philosophes, on peut aussi le faire dans des échanges avec autrui. car la pensée s’approfondit à la fois  avec  les autres (qui me surprennent, me déplacent, contestent ce que je pense…), et  contre les autres (je dois fonder mes désaccords, répondre à des objections. mais il faut que soient réunies de notre point de vue un certain nombre de conditions pour que l’échange – le plus souvent collectif - soit  intellectuellement formateur  :, - des  conditions communicationnelles  : écouter l’autre (les autres), ne pas le couper ni se moquer, respecter sa personne, car la sécurité et la confiance créent un climat qui facilite la prise de parole publique et l’élaboration sereine de sa pensée ; cela suppose une maîtrise de ses (im)pulsions d’intervention. on peut parler ici avec habermas d’une « éthique communicationnelle », dans la considération de l’autre d’une part comme usant d’un droit démocratique d’expression, consacrant le droit égal de chacun et de tous à la parole  (isogoria), d’autre part comme un « interlocuteur valable » du point de vue de la pensée (j. lévine), postulant son « éducabilité philosophique »., – des  exigences intellectuelles  : écouter l’autre en faisant l’effort de comprendre fidèlement ce qu’il dit, être capable de pénétrer sa vision du monde, pour échanger à partir de ce qu’il vient de dire ; élaborer sa propre pensée et l’exprimer le plus clairement possible. appuyer cette élaboration sur des processus de pensée qui donnent une  visée réflexive  au propos : formuler des questions, questionner et se questionner,  problématiser  les notions et les questions ; pour savoir précisément de quoi l’on parle, définir les notions que l’on utilise, les distinguer soigneusement d’autres notions,  conceptualiser  ; pour se tenir dans un rapport recherché à la vérité, justifier ce que l’on dit, les objections que l’on formule, les réponses aux objections qui nous sont faites,  argumenter rationnellement ., - des  exigences d’animation  de l’échange, qui veille au respect de ces deux types de  condition : confiance et sécurité dans le groupe, rigueur intellectuelle dans les échanges [3] ., des dispositifs pour penser, il faut alors penser et mettre en œuvre des façons d’organiser les discussions répondant à ces exigences, des méthodes permettant d’y parvenir. d’où la nécessité d’une réflexion pédagogique et didactique. nous nous appuyons par exemple pour la démocratie sur la pédagogie coopérative et institutionnelle, et pour la philosophie sur notre travail de didactisation du philosopher., nous avons pour notre part, depuis une dizaine d’année, expérimenté et construit, avec alain delsol et sylvain connac, un dispositif ad hoc, la  discussion à visée démocratique et philosophique (dvdp)., - démocratique par la répartition du pouvoir entre différentes fonctions dans le groupe : président de séance sur la forme des échanges, avec des règles précises pour la prise de parole, garant démocratique ; animateur sur le fond de la discussion, vigie philosophique ; reformulateur, synthétiseur, discutants, observateurs sur les fonctions, la démocratie de la parole, les processus de pensée mis en œuvre…  , - philosophique par la vigilance sur la visée philosophique de la discussion par la mobilisation de processus de pensée réflexifs. ce dispositif est adaptable selon les différents publics concernés (par exemple à l’âge des enfants). essentiellement oral, il peut aussi faire appel à des textes de philosophes, à l’écriture de textes différenciés des participants, être précédé d’une introduction plus ou moins longue et experte , rendre la forme d’un café philo, d’un banquet philo ou d’un ciné philo pour adultes, d’un goûter philo pour enfants, d’un atelier, d’une randonnée etc., et se tenir à l’école, dans un café, une médiathèque, une mjc, un foyer de jeunes travailleurs, une maison de retraite, un hôpital, une prison etc., la diversité des lieux, des publics et des âges donnant une coloration particulière à la discussion..., un contexte porteur pour développer plus de démocratie et de philosophie, apprendre à philosopher soi-même, apprendre à philosopher aux autres est aujourd’hui une nécessité, car le monde est devenu tellement illisible que les experts s’y perdent et se contredisent. celui-ci est caractérisé par la perte de sens et de repères traditionnels : la mort de dieu, la désinstitutionnalisation des individus, la fin des grands récits, la montée de l’individualisme qui me rend de façon écrasante responsable de ma vie et de ses échecs. comment par exemple comprendre ce qui m’arrive en étant jeté-là sans l’avoir choisi  comment orienter ma vie quand le relativisme des valeurs m’ôte toute boussole  quelle espérance collective aujourd’hui  c’est ce genre de question que la philosophie rencontre dans sa réflexivité, qui peut accompagner l’intelligence de ma situation et l’assomption de ma condition., d’où l’importance de faire philosopher au plus tôt les enfants, de les faire grandir dans leur tête, pour les doter d’une capacité d’analyse du monde dans lequel ils vivent, pour leur donner des outils intellectuels de compréhension et d’orientation. c’est l’objectif de la philosophie avec les enfants et les adolescents, pour laquelle je travaille depuis 15 ans., d’où l’importance aussi de développer la philosophie dans la cité, suivant l’exemple de socrate, pour amener les gens poussés à courir de plus en plus vite à faire des  pauses réflexives , pour eux-mêmes et pour développer leur capacité collective de débattre., l’objectif humaniste (former l’homme) croise ici l’objectif politique (former le citoyen), car la démocratie a besoin de gens qui pensent, qui discutent, qui argumentent. et la qualité du débat démocratique exige une rigueur dans l’expression et l’argumentation qui s’apprend…, [1]                         [1] voir par exemple :                 on dit aussi que la marche est une philosophie, qu’il y a une philosophie de la marche., [2]                         [2] ces nouvelles pratiques sont répertoriées dans notre ouvrage  nouvelles pratiques philosophiques – répondre à une demande sociale et scolaire , chronique sociale, lyon, 2012., [3]                         [3] voir notre article « animer une discussion philosophique » :  ,  deuxième intervention : daniel mercier, « voyage au pays de la philosophie », eltchaninoff : «  puisque philosopher, c’est s’étonner, porter un regard neuf sur le monde, le voyage en représente la condition, la conséquence naturelle  ou encore la métaphore » (philomag n° 3, juillet 2006), etant un piètre voyageur, j’ai spontanément considéré le thème du voyage comme n’étant pas fait pour moi   cependant, je retiendrai de la phrase précédente la ressource de la métaphore du voyage en philosophie qui me parle beaucoup mieux, moi qui passe aujourd’hui l’essentiel de mon temps devant les livres de philo ou l’ordinateur : le thème du philosophe comme voyageur, dans sa version « voyageur immobile », me plaît bien...... je n’aborderai pas directement le thème de la philo comme voyage ou aventure, ni celui des nouvelles pratiques philo et des vertus de la discussion, étant en accord sur ces points avec le propos de michel. je voudrais montrer ici pourquoi ce voyage est aussi voyage au pays de la philosophie et de ses habitants, je veux parler des philosophes... deux temps dans mon exposé : 1) pour quelles raisons ne pouvons-nous pas nous passer de la pensée de ceux qui nous ont précédés. 2) en quoi la célèbre formule du « penser par soi-même » est non seulement compatible mais complémentaire avec le nécessaire dialogue en direction de ceux incarnant une « réflexion » que l’humanité n’a jamais cessé de produire sur elle-même au cours de son histoire.  , pour faire sans plus tarder le lien avec le propos de michel, trois remarques préalables :, 1) il répond à la question posée en se situant dans la perspective d’une propédeutique à la philosophie, ce qui sous-entend  que si nous poursuivons le voyage plus avant, l’abord du corpus philosophique est nécessaire. cette thèse est donc tout à fait compatible avec la mienne . mais il est difficile de mesurer jusqu’à quel point l’exercice de la pensée d’une personne (je parle ici d’adultes) est ou n’est pas associé à l’infusion d’idées provenant de ce corpus (dont les limites précises ne sont d’ailleurs pas faciles à définir) : même si nous ne lisons pas des ouvrages de philosophie, celui que nous avons écouté avant-hier sur tel plateau télé, ou que nous avons lu dans un article de journal, écouté lors d’une conférence, ou même la façon dont l’animateur du précédent café philo, ou tel ou tel intervenant, a traité ou « recyclé » tel ou tel propos à partir de son propre « background » philosophique, a peut-être participé à la formation de mon propre jugement. où commence et où s’arrête l’apport philosophique , 2) dans la formulation même de notre question réside l’écart entre nos deux positions.  michel la formule ainsi : « la question que nous avons décidé de traiter, c’est de savoir si dans les bagages obligés, il y a les philosophes et l’histoire de la philosophie » ; selon moi,  les philosophes ne sont pas dans les bagages... ils font partie intégrante des contrées à explorer    le voyage philosophique est aussi un voyage au pays de la philosophie.  ma thèse est simple : il n’y a pas de voyage philosophique authentique sans que rapidement nous ne soyons amenés à explorer des contrées balisées philosophiquement par l’activité philosophique antérieure de ceux qui nous ont précédés, et dont les noms jalonnent l’histoire de la philosophie.  ma conviction est que ce voyage ne peut pas, à terme, n’être qu’une exploration sur le mode du « philosopher », mais qu’il est aussi inextricablement lié à l’exploration de la philosophie  (cette distinction conceptuelle n’est pas la mienne, mais elle est couramment utilisée dans la mouvance des « nouvelles pratiques philosophiques »), et que la séparation de ces deux entreprises est vouée à l’échec., 3) le voyage philosophique peut en effet être incarnée par cette belle formule « penser par soi-même », héritée de la philosophie des lumières et de kant en particulier, et qui a fait les beaux jours des nouvelles pratiques philosophiques – qui en ont fait une formule-étendart -, mais à condition toutefois d’en saisir la complexité derrière sa fausse et trop séduisante évidence...  je serai donc la seconde voix après celle de michel, non pas pour contester la dimension émancipatrice du « penser pas soi-même » par rapport à tout « argument d’autorité » (j’en suis moi-même convaincu), mais pour insister sur le nécessaire tribu que la pensée doit à ce qui la précède, malgré peut-être l’apparence de cette formule. une autre formule platonicienne, emblématique de l’activité de pensée philosophique, le « dialogue intérieur de l’âme avec elle-même », pourrait également se prêter à une interprétation simpliste du seul voyage intérieur et quelque peu solipsiste de la raison raisonnante avec elle-même... en réalité, elle nous introduit elle aussi au pays des philosophes. j’insisterai donc sur le passage obligé de cette rencontre avec les philosophes. nos deux voix ne me semblent pas contradictoires. mais de leur écart peut naître peut-être une nouvelle partition, une nouvelle initiative pour la pensée..., il est nécessaire de dire quelques mots également, avant d’entrer dans le vif du sujet, sur les circonstances dans lesquelles a éclos le renouveau d’intérêt pour la discussion philosophique tel qu’on le connait aujourd’hui . ce rappel peut nous aider à comprendre à la fois l’importance d’un tel renouveau, et aussi ses dérives possibles. parmi plusieurs facteurs, il y en a un qui me paraît évident : le besoin d’expression personnelle et de libération de la parole finalement nés de mai 68, et qui fondamentalement est lié à la revendication toujours plus pressante chez le nouvel individu contemporain de  reconnaissance identitaire entre égaux.  ce qui est en jeu, c’est en particulier l’affirmation nouvelle du besoin de communication horizontale entre égaux, la rupture avec le vieux monde autoritaire, non pas vecteur d’une démocratie nouvelle dans les institutions, mais d’une démocratie dans les têtes et dans les mœurs, « la démocratie tocquevillienne et des rapports sociaux à base de respect mutuel et de tolérance qui vont avec » (marcel gauchet). l’essor de ces nouvelles pratiques de discussion sont évidemment très intéressantes, et nous sommes ici les premiers à vouloir les promouvoir. mais elles ont aussi leurs propres dérives, dont il faut être capable de se prémunir : si l’irruption de cette parole multiforme se contente d’être en elle-même sa propre fin, elle peut donner lieu à des formes de « happening »  à l’instar de nos chères ag de 68, sans être capable de poser les conditions d’un véritable espace public de débat argumenté. les différents dispositifs de discussion réglées mises en place, et dont michel a pris une part très active, sont mis en oeuvre pour y remédier...  mais un second écueil ne doit pas être négligé, et qui est au cœur de notre préoccupation aujourd’hui : philosopher en oubliant la philosophie, telle est parfois l’illusion véhiculée par ces nouvelles pratiques… je voudrai montrer par conséquent pourquoi nous devons nous efforcer de promouvoir ces activités de discussion, sans les disjoindre pour autant d’une tâche de transmission plus « classique ». la philosophie pour tous, selon la formule de michel onfray, c’est aussi « l’élitisme pour tous » : faire coexister le « savoir-savant » et la réflexion collective, ne pas opposer philosopher et philosophie, reconnaître et faire connaître l’immense héritage que nous lègue l’histoire de la pensée philosophique, sont des tâches qui bien loin d’être antagonistes, doivent s’alimenter les unes les autres. cela veut dire en particulier maintenir les exigences d’une réflexion philosophique de qualité, tout en relevant le défi d’une véritable « philosophie populaire ». , de ce point de vue, je pense que nous ne devons pas confondre une propédeutique de la réflexion philosophique, avec une réflexion philosophique atteignant sa maturité, comme le sous-entend  justement le propos de michel. les premiers apprentissages de pensée, axée autant que possible sur des questions existentielles qui mobilisent directement l’expérience personnelle de chacun peuvent certes s’appuyer sur des apports extérieurs (quels qu’en soient la forme), mais à dose homéopathique et ajustée au niveau de réception des acteurs. mais progressivement la nécessité d’entrer dans l’univers de la pensée philosophique à travers  les oeuvres se fait pressante. avant d’en évoquer les raisons, je voudrai dire pourquoi la philo, plus que toute autre discipline, peut laisser penser qu’elle peut faire l’économie de la réflexion de ceux qui nous ont précédés., la philosophie, contrairement à la lecture, aux mathématiques, ou encore à l’histoire, par les questions initiales qui sont les siennes (la vie, la mort, l’amour, l’univers, la nature, la société et son fonctionnement, le bon et le mauvais...etc.), par la référence commune  à la raison humaine comme instrument privilégiée de la réflexion et possédé par chacun d’entre nous, par l’usage d’un langage qui - du moins en apparence – est celui du langage ordinaire, peut nous apparaître comme « naturellement » un domaine familier et ouvert à tous dans lequel, si nous parvenons  à exercer correctement notre raison, nous pouvons avantageusement faire l’économie du corpus philosophique.  une certaine logique du credo rationaliste de la modernité  nous engage en effet à substituer l’ordre de la raison à l’argument d’autorité, la soumission aux dogmes du passé, la répétition de ce qui est dicté par la tradition. de là à penser que nous pouvons nous passer de la pensée de ceux qui nous ont précédé, il y a un grand pas que certains n’ont pas hésité à effectuer, d’autant qu’une telle position est parfaitement en phase avec la tentation contemporaine de faire comme si elle pouvait se vivre déconnectée de son passé ..., par ailleurs, la commémoration ou la vénération des œuvres du passé ne peuvent être en eux-mêmes qu’une fausse bonne raison. nous sommes malheureusement trop habitués à ce genre de patrimonialisation du passé (c’est une des dimensions importantes de notre monde contemporain) qui, ne nous aide en rien car cette sorte de « momification » nous empêche de faire revivre ces pensées à travers notre propre questionnement présent, nos propres jugements et critiques, nos propres façons contemporaines d’aborder ces questions (car même les questions se transforment au cours du temps). aujourd’hui, la patrimonialisation des œuvres sert en réalité leur neutralisation car simples attestations du passé, elles n’ont plus rien à nous dire., première partie, pour quelles raisons, donc, ne pouvons-nous pas nous passer de la pensée de ceux qui nous ont précédés , 1. notre pensée philosophique  qui se construit doit  s’inscrire, que nous le voulions ou non, que nous le fassions en conscience ou non, dans un ensemble signifiant dont les codes ne nous sont pas spontanément connus . cela n’est pas particulier à la philosophie. quel que soit le domaine ou la discipline concernée, le savoir organisé est de nature structurellement ésotérique et symbolique : la philosophie, comme l’écriture, le calcul, ou la musique. malgré les apparences d’un discours proche du discours commun, le discours philosophique, dans son travail de lecture du réel, nous introduit rapidement à des langages  et des conceptualisations dont le sens s’éloigne du sens commun, et se trouve lié à des réseaux de significations conceptuelles en jeu dans les constructions philosophiques qui le précèdent). elle nous introduit à un univers symbolique qui certes nous aide à mieux penser le monde et à mieux avoir prise sur lui, mais qui nécessite d’amorcer une exploration qui est sans fin dans son principe. pour tout dire, nous n’avons accès au monde que par l’intermédiaire de médiations culturelles, et la philosophie n’échappe pas à la règle.   les philosophes nous tendent la main pour cette exploration...  la maîtrise, même très relative, d’un tel univers, passe par une phase initiatique de découverte qui signifie très concrètement la fréquentation de ses habitants et la connaissance de leurs us et coutumes, pour continuer de filer la métaphore du voyage.  le maître est cet initiateur qui nous prend la main pour nous introduire dans un monde symbolique inconnu et qui nous le rend déchiffrable, utilisable, maniable... jusqu’à ce qu’on se sente à peu près « chez nous »., nous devons toujours avoir à l’esprit le peu que nous maîtrisons par rapport à ce qui nous échappe. mais comment être philosophe sans être aussi un chercheur perpétuel  cette première raison doit aussitôt être poursuivie par une seconde, tout aussi importante :, 2. un dialogue continué depuis des millénaires... la dimension temporelle de la connaissance  : en tant qu’être humain-social, nous ne pouvons pas méconnaître que nous sommes des nouveaux venus dans un monde qui ne nous a pas attendu pour exister. l’expérience de l’antécédence d’une histoire des idées qui nous précède et qui est constitutive de notre monde humain, ne peut être évitée, si nous voulons nous inscrire valablement dans cette aventure humaine de la culture, inscrire notre réflexion dans la continuité de cette aventure humaine de la pensée. c’est en réalité l’enjeu symbolique fondamental de l’éducation et de la transmission ; il est ici question de parenté et de filiation ; nous poursuivons ainsi ce qui a été engagé par nos prédécesseurs, maillon de  la continuité des générations à travers le temps, même si par ailleurs nous sommes éventuellement dans l’innovation par rapport à ce qui précède. c’est en réalité la question de l’héritage qui est ici posé... (nous allons y revenir). prétendre que l’apprentissage de la pensée philosophique peut faire l’impasse de la rencontre avec les philosophes relève au fond d’une option individualiste et surtout présentiste : elle méconnaît la nature profonde de la connaissance qui, même si elle n’est pas cumulative comme peut l’être la science (une nouvelle découverte s’appuie sur des acquis patiemment accumulés...), s’enracine dans le temps (comme nous avons déjà essayé de le montrer). la philosophie s’inscrit ainsi dans l’intelligence d’un dialogue continué qu’elle a historiquement instituée depuis plus de deux millénaires., 3. cela n’empêche pas  que nous sommes tous peu ou prou des philosophes  à partir du moment où il y a toujours des moments de notre existence où nous sommes « réflexifs », c’est-à-dire où nous pensons cette existence d’une façon ou d’une autre. « penser sa vie, vivre sa pensée », comme le dit sponville, autrement dit être « réflexif », mouvement au cours duquel la pensée se pense elle-même : ce que je perçois, ce que je pense savoir, ce que je ressens, ce que je juge concernant mon existence ou le monde que j’habite, qu’en penser  comment le penser à son tour  cette activité qui apparaît spontanée et qui semble même, pour certains d’entre nous, correspondre à une disposition évidente, suffit à poser comme principe qu’en tant qu’êtres humains (nous ne sommes pas des animaux), nous sommes potentiellement porté à philosopher, et que d’une certaine manière vivre humainement, c’est s’interroger ainsi sur ce que nous vivons. michel a en ce sens parfaitement raison d’affirmer la capacité à philosopher dès le plus jeune âge sans passer par un apport philosophique qui risque de toute façon d’être définitivement indigeste, en tout cas pour les plus jeunes. le philosopher est universellement partagé parmi les humains. qui peut prétendre ne s’être jamais interrogé sur les grands problèmes de l’existence humaine  la philo part effectivement des grandes questions que tout le monde se pose, dans un langage qui peut apparaître le même au premier abord. en ce sens nous sommes tous philosophes. nous pensons tous peu ou prou notre vie, même si c’est souvent relatif à notre expérience immédiate et locale. de là à penser qu’il suffit de créer des conditions favorables  pour que le déploiement de la raison puisse opérer sans l’aide des philosophes...  c’est d’ailleurs un point de vue qui n’est pas dénué de sens : la raison, et la réflexivité qu’elle autorise, est en droit universellement partagée., mais nous ne sommes pas tous des spinoza ...  mais est-ce une raison pour mettre au même niveau la philosophie d’un enfant et celle de spinoza, de hegel, ou de marcel gauchet  non pas qu’il s’agisse de devenir l’égal d’un de ces éminents philosophes( ), mais de comprendre qu’il y a bien sûr une gradation lente et continue dans l’apprentissage de la philosophie, et que cette initiation ou cet apprentissage passe nécessairement, et assez rapidement par la fréquentation des philosophes (il va de soi que cette fréquentation peut se faire par différents canaux, et qu’il ne s’agit pas forcément de lire dans le texte l’ensemble des philosophes, car alors nous serions morts bien avant d’avoir le moindre aperçu de cet ensemble il existe des outils de médiation permettant de progresser sans cela... , 4. penser que toutes les pensées se valent de par notre égalité constitutive (avons-nous de bonnes raisons de penser ce que l’on pense ),  témoigne d’une grave confusion (malheureusement fréquente) entre égalité de droit et égalité réelle (pour reprendre un vocabulaire marxiste). nous pouvons être tous égaux en dignité et très inégaux dans la façon dont nous exerçons notre réflexion. dire que chacun a toujours de « bonnes raisons » de penser et de dire ce qu’il pense et dit est légitime. mais à condition de ne pas confondre « les bonnes raisons » au sens psychologique avec la plus ou moins grande consistance d’un développement rationnel par rapport à tel ou tel sujet. la philosophie est peut-être une croyance, au sens où d’une part nous savons aujourd’hui que la vérité ne peut être qu’une quête inachevée, et où d’autre part elle n’a pas les caractéristiques d’une science, mais elle est une croyance rationnelle, et cela fait toute la différence avec l’opinion. ce n’est pas parce que la vérité au sens absolu est inatteignable que toutes les affirmations se valent et que nous ne pouvons pas les discriminer en fonction de leurs degrés de pertinence, de rigueur, et de profondeur : il y aura toujours des jugements plus ou moins vrais ou plus ou moins faux. et surtout certaines erreurs sont plus intéressantes, par les horizons de pensée qu’elles ouvrent,  que certaines vérités triviales qui ne nous apportent rien..., 5. cela ne justifie pas le mépris affiché par certains... encore une fois, il ne s’agit pas ici de disqualifier les dispositifs démocratiques et publics  qui permettent de sortir la philosophie de son ghetto universitaire, et de l’adresser à tous (du moins en droit), tout cela avec l’argument « qu’il ne s’agirait pas vraiment de philosophie » puisqu’on ne reproduirait pas la norme universitaire... contrairement à michel onfray, qui se prétend par ailleurs le chantre de la philosophie populaire, et pourfendeur du système universitaire, mais qui a écrit un véritable « brûlot » contre les cafés philos au nom de la philosophie véritable. en ce qui me concerne, j’avais voulu répondre point par point à ses attaques, en les confrontant à la pratique réelle qui était la mienne, pour montrer que cette critique se trompait de cible... mais il avait raison sur un point (malgré un texte très excessif, comme à son habitude), et nous devons y être attentif si nous souhaitons toujours faire exister ces nouvelles pratiques philosophiques : i l n’y a pas à mon sens à opposer, comme le font certains aujourd’hui, philosopher et philosophie. cela signifie en particulier que la philosophie (à travers la réflexion de ses auteurs) doit avoir sa place dans un café philo. ce qui nous autorise à dire que nous discutons « en compagnie des philosophes » (nous n’aborderons pas ici les différents façons de faire vivre ces pensées au cours de la discussion, en lien avec la problématique philosophique abordée : introduction du sujet, lecture de textes proposée, mode d’animation de la discussion... au sujet de ce mode d’animation de la discussion, il semble que ce soit le grand « oublié » de la présentation de michel, comme si celui-ci n’influait pas sur la teneur de la discussion... a reprendre peut-être dans la discussion)., deuxième partie : penser par soi-même avec les philosophes, 6. penser par soi-même : autonomie contre hétéronomie, mais alors, cette dépendance constitutive de la réflexion philosophique à son histoire n’est-elle pas contradictoire avec le mot d’ordre de la philosophie des lumières, repris par le mouvement contemporain des « nouvelles pratiques philosophiques », « penser par soi-même ».  ce qui est devenu une sorte de slogan philosophique était déjà proclamé par kant dans son livre  « qu’est-ce que les lumières  », devenu à raison un des ouvrages « porte-drapeau » de l’avènement de la modernité au xviii siècle, formule qui sera reprise dans sa « critique de la faculté de juger ». ce qui est en jeu dans cette « critique » (au sens kantien d’un « libre et public examen »), c’est la question de l’hétéronomie de la raison et de la volonté ; au lieu d’être librement guidées par leurs propres principes, elles subissent le poids de facteurs étrangers à leurs essences : l’intérêt, la passion, l’influence des autres, mais nous pourrions ajouter l’autorité de la tradition, la convenance, le souci de ne pas sortir du rang…etc. les influences reçues pèsent évidemment d’un grand poids sur les pensées qui sont en nous, au titre de « pensées toutes faites » ou de préjugés, c'est-à-dire de pensées qui ne sont pas passées au crible de la réflexion. il s’agit donc de lutter contre cette hétéronomie et de promouvoir « un penser pas soi-même » autonome, c’est-à-dire qui ne dépende que des ressorts de la raison elle-même.  kant nous propose deux maximes importantes de la pensée :, -           penser par soi-même  : il s’agit là de lutter contre cette hétéronomie et passivité de la pensée. a l’époque des lumières, cette maxime s’adresse en particulier au combat contre les superstitions. un certain nombre de questions peuvent émerger de cette première maxime : « penser par soi-même » peut-il signifier que l’on doive penser seul, en dehors de toute référence extérieure à soi  sinon, comment concilier l’autonomie de la pensée et l’inscription de cette pensée dans ce qui est extérieure et antérieure à elle   autrement dit, la pensée peut-elle s’abstraire de tout héritage  ne risque-t-elle pas de sombrer d’autant plus dans le préjugé et le conformisme qu’elle prétend se soustraire à toute influence  nous reviendrons sur ces questions, notamment avec les essais de montaigne et la figure du « philosophe enfant ». mais la deuxième maxime apporte déjà un élément de réponse :, -           penser en se mettant à la place de tout autre  : il s’agit de pouvoir s’arracher aux conditions subjectives de jugement (les conditions particulières qui font de mon jugement un jugement subjectif et particulier), pour se placer d’un point de vue universel, c'est-à-dire de celui d’un « tout autre ». cet impératif est bien sûr problématique : qui est ce « tout autre » abstrait  existe-t-il vraiment en dehors de dieu lui-même  c’est nietzsche qui affirmera contre cette illusion d’universalité le caractère incontournable du « perspectivisme ». quant à habermas, il poursuit l’idée de kant avec son « principe d’universalisation », mais propose une alternative à l’impératif kantien : dans une discussion par exemple, il s’agit idéalement que chacune des parties se mettent à la place de toutes les autres, et non pas penser à la place de ce « tout autre » abstrait qui n’existe pas… quoiqu’il en soit – nous ne trancherons pas ici ce débat – peut faire consensus l’idée que la pensée doit s’efforcer à la compréhension interne du point de vue d’autrui en cherchant à « se mettre (cognitivement) à sa place » il s’agit du concept de « pensée élargie » (nommé ainsi par luc ferry), qui invite à une décentration de sa perspective initiale, à un détour par le point de vue d’autrui, pour revenir ensuite de manière plus distanciée à soi. la lutte contre l’esprit borné ou « étroitesse d’esprit » est à coup sûr à ce prix., montaigne et l’enfant-philosophe : la question de l’exercice d’un jugement indépendant, une pensée expurgée de tout ce qui peut la précéder, native en quelque sorte, n’est-elle pas de l’ordre du mythe , il me vient à ce sujet la réflexion de montaigne dans les essais qui pense l’enfant comme prototype du philosophe à cause de sa sincérité et de sa naïveté.  la philosophie, fortement recommandée pour les enfants, doit précisément cultiver en eux l’exercice du « jugement naturel », celui qui prend appui sur ses propres forces (en dehors d’un savoir doctrinal ou surnaturel).  l’enfant-philosophe devra ainsi connaître une éducation précoce pour préserver sa disponibilité intellectuelle et morale dénuée de préjugés déjà présente en lui... mais là apparaît une difficulté qui sera bien difficile à surmonter : montaigne reconnaît lui-même la malléabilité problématique de cet état natif, qui fait très rapidement prendre à l’enfant des plis décisifs... paradoxalement, il s’agit donc d’intervenir très tôt pour que cette éducation-là puisse prévenir les « violences parentales » (qui ne sont probablement pas que « symboliques » à l’époque...) ou lutter rapidement contre... en réalité, cette « sincérité enfantine » désigne surtout la malléabilité d’une « pâte » qu’il va s’agir « d’informer » ou de « former » dans le sens d’une tête bien faite avant que d’autres influences ne viennent compromettre ce projet. que serait une pensée à l’état natif, en dehors du contact de tout autre, si ce n’est peut-être  celle de cet enfant sauvage (comme victor de l’aveyron), décrit dans la littérature comme rétif à la fois à toute individuation et à toute socialisation (d’ailleurs seul notre société des individus fait mine de penser que l’une et l’autre sont opposées, alors qu’elles constituent un ensemble inextricable...). « coincé » théoriquement entre cet état archaïque qui n’est pas encore véritablement « humain » (ou social, ce qui est ici la même chose), et celui d’une être déjà objet des conditionnements sociaux (celui que critique montaigne), l’état « natif » ou «naïf », ou si l’on veut encore l’être humain originel et naturel, est sans aucun doute un mythe. mais comme tout mythe, il nous dit quelque chose d’essentiel sur la visée philosophique, que nous aurons à préciser., qu’est-ce que l’indépendance du jugement   si nous revenons à montaigne et à sa philosophie de la sincérité, qui est selon lui la condition de l’indépendance du jugement, comment procède-t-il lui-même dans les essais  tout  en revendiquant une forme de naïveté foncièrement éloignée de tout conformisme, il déploie un véritable art de penser où il se montre capable de s’arracher à soi-même pour adopter le point de vue des autres, où il se distancie réflexivement de lui-même, où il s’écarte volontairement d’une forme de naïveté qui consisterait dans une forme d’adhérence de soi vis-à-vis de soi (définition habituelle de la sincérité). ami de lui-même, montaigne le revendique, mais sans complaisance, au-delà de ses certitudes premières. et les jugements qu’il  exprime  portent sur des jugements plus anciens, mettant en question l’idée d’un jugement conçu comme commencement absolu. le jugement personnel se nourrit du jugement d’autrui, et en particulier de tous les « illustres autrui » qui nous ont précédés.  par conséquent, l’indépendance du jugement par rapport aux préjugés, aux conventions, aux autorités constituées, ne signifie pas pour autant « la table rase » par rapport à tout jugement antérieur. les essais en sont l’illustration vivante, avec ses multiples emprunts et interprétations des jugements des anciens de l’antiquité. ils se nourrissent en permanence du jugement d’autrui. là encore, le retour à une naïveté native, si elle représente un idéal de sincérité, ne peut suffire… pensons à cet élève de terminale qui pensait avoir réussi une dissertation sincère et personnelle « en exprimant ses idées » et qui est déçu par sa note et les appréciations de l’enseignant qui mentionne « une suite de banalités »... on peut faire l’hypothèse qu’il a effectivement enchaîné des lieux communs non questionnés appartenant à un certain type d’environnement, en ayant l’impression d’être très « personnel ». seule une confrontation intellectuelle avec une parole ou un écrit « autre », capable de le mettre à distance critique (au sens de l’examen) des premières idées qui affleurent spontanément, pourra le faire avancer dans la formation de son jugement. n’est-ce pas au fond la raison d’être de l’éducation et de la culture, en tant que médiation permettant d’avoir prise symboliquement sur le monde  on peut juger ici de l’ambiguïté de la formule « penser par soi-même », si elle n’est pas examinée dans sa complexité : cet élève peut sans doute à bon droit dire qu’il a pensé par lui-même puisqu’il a exposé ses propres idées. et pourtant il ne suffit pas de prétendre exposer ses propres idées – ce qui n’est d’ailleurs pas inexact -  pour être autorisé à penser que « l’on pense par soi-même », tout au contraire..., si nous revenons maintenant à ce qu’affirme michel : « il s’agit d’une  émancipation   intellectuelle  par rapport aux préjugés, au prêt-à-penser conformiste, aux pressions de la publicité, de la propagande, et même des maîtres-à-penser. s’émanciper consiste à sortir de la tutelle, à se libérer de ceux qui pensent pour nous, et même comme nous ». nous pouvons tout à fait souscrire à cela. mais à condition peut-être d’avoir l’humilité d’accepter de penser intérieurement dans un premier temps comme certains grands auteurs qui « font autorité » (j’emploie à dessein ce qui peut passer dans une certaine mouvance intellectuelle comme un gros mot), je veux dire prendre le temps de saisir de l’intérieur toute la pertinence de leur pensée, pour pouvoir ensuite la digérer et la recycler éventuellement dans le sens d’une appropriation personnelle, ou tout simplement l’écarter (c’est toute la question de l’héritage qui est posée ici). et même dans ce cas, nous pouvons faire l’hypothèse que quelque chose, que je ne maîtrise pas encore (et peut-être jamais), va persister et contribuer à l’évolution de ma pensée. car celle-ci n’obéit pas entièrement à une rationalité explicite. ses voies sont parfois souterraines et silencieuses... de nature « rhyzomatique », concept de l’écrivain martiniquais edouard glissant, repris par deleuze., 8. partir des lieux communs ou de la « doxa » n’est pas un péché, mais une étape nécessaire, ceci étant dit, il n’est pas juste de mépriser et de brocarder, comme le fait onfray dans ce même texte, les lieux communs, les «  billevesées (propos vide de sens), les coquecigrues (propos chimériques), qui seraient déversés dans les café philo » .  c ar la philosophie ne se doit-elle pas précisément de partir de ces premières réflexions (au sens optique) ou représentations de l’expérience que nous avons du monde – qui se forment effectivement à partir des préjugés de ce que l’on appelle la doxa ou l’opinion -, si trompeuses soient-elles, plutôt que d’être un pur jeu de l’esprit désincarné. en ce sens, l’élitisme déplacé de onfray est regrettable. car il est nécessaire que la réflexion philosophique prenne son point d’ancrage dans l’expérience et le langage communs pour les interroger. la  « doxa » est l’aliment obligé de la philosophie. la philosophie ne doit certes pas se satisfaire des « lieux communs » et « les faire passer pour des pensées profondes » (michel onfray). mais la réflexion philosophique ne part-elle pas du langage commun et des « lieux communs »  ne consiste-t-elle pas précisément à interroger la « doxa » (l’opinion)  y a-t-il d’autre recours possible que de partir des premières « réflexions » (au sens optique de ce terme) ou représentations de son expérience dans le monde, en évitant peut-être de considérer à priori le propos vide de sens (« billevesées ») ou chimérique (« coquecigrues »)  n’est-ce pas tout le sens de la maïeutique socratique de partir des opinions de ses interlocuteurs il y a une tendance naturelle à la « suffisance » dans l’expression de nos opinions : les apprentis philosophes que nous sommes tous à un moment donné sont dans la situation « d’ignorer ce qu’ils ignorent » (socrate), ce qui est la véritable ignorance. autrement dit, nous avons naïvement le sentiment d’avoir dit « vrai » de façon définitive... le rôle de socrate est alors déterminant : c’est le fameux « effet torpille » de ses interventions. effet double : il nous oblige à interrompre notre premier mouvement pour penser ; et nous amène à ne plus être sûr de ce qui nous semblait indubitable. effet paralysant qui interrompt notre bien-pensance et qui suspend notre autosatisfaction intellectuelle., 9. la figure de l’enfance est une métaphore. , elle symbolise un regard attentif à ne pas être gagné et opacifié par toutes les scories des habitudes sociales ou mentales, et capable de voir ce que personne n’a encore vu. cette métaphore du regard neuf et étonné, qui permettrait de renouer avec un rapport originel « aux choses mêmes » - voilà un autre « slogan philosophique », qui était (est toujours ) celui de la phénoménologie (husserl) – a toujours été présente d’une manière ou d’une autre dans l’histoire de la philosophie. l’enfant représenterait  le moment où l’homme est encore dans sa « simplicité naturelle » (cf. plus haut montaigne). le fait que cet état de « simplicité naturelle » n’existe probablement pas davantage que l’état de nature de rousseau, dont il convenait « qu’il na peut-être jamais existé », ne change rien à la force symbolique d’un tel recours à l’enfance : il incarne la promesse d’un premier commencement, la possibilité du retour à l’origine d’une expérience première non polluée par les couches successives des significations acquises, que celles-ci soient le fruit de savoirs construits et rationnels, ou d’habitudes mentales et culturelles irréfléchies, les unes comme les autres agissant comme des sédimentations successives empêchant ce retour originaire aux choses. j’oserai même avancer que l’art est souvent habité, comme la philosophie, par une visée identique : peu de temps avant husserl et la phénoménologie (est-ce un hasard ), des artistes comme baudelaire, cézanne, klee, insistent sur ce désir de « recommencer à zéro ». baudelaire parle du génie comme de « l’enfance retrouvée ». paul klee et  cézanne, pourtant pétris de notre vieille culture occidentale, et probablement formés à toutes les techniques de l’histoire de la peinture, exaltent l’enfance, la virginité des commencements :, « c’est une grande difficulté et une grande nécessité de devoir recommencer à zéro. je veux être comme le nouveau né, qui ne sait rien, absolument rien de l’europe, ignorant les poètes et les modes, être presque primitif »  (paul klee, 1902).  « donner l’image de ce que nous voyons en oubliant tout ce qui a été fait avant. »  (cézanne, 1904)., ce désir de partir d’un « point zéro » originaire  rejoint d’une certaine façon l’idéal rationaliste : remonter en amont de tout acquis et refonder toute connaissance par les seules vertus de la raison (n’est-ce pas le projet cartésien ). il est bien sûr tentant d’adhérer littéralement à un tel projet, et penser que ce retour au « premier commencement » est à la mesure d’un projet authentiquement philosophique ou artistique. mais ne nous y trompons pas : souvenons-nous des difficultés auxquelles se confronte la tentative de montaigne pour circonscrire le moment de la naïveté première » ou de la « simplicité naturelle » propre à l’enfant : voulant chercher la virginité du premier regard, il risque bien de tomber sur le « rien », tant il est vrai que l’homme (et donc le petit d’homme) est constitutivement un être « culturé » de part en part. autrement dit, pour « s’approcher du regard de l’enfant », ou encore « peindre avec la naïveté d’un enfant », nul retour possible à une enfance non seulement perdue mais surtout mythique, plutôt, paradoxalement, un lent et laborieux travail de formation pour devenir un homme (et non un enfant) capable de retrouver quelque chose de l’enfant en lui. bref, ce qui est purement et simplement occulté dans pareille illusion concernant l’enfance, c’est le rôle cardinal des médiations sociales et culturelles dans le « devenir-homme ».    en réalité , nous ne pouvons renouer avec une sorte de fraîcheur et de créativité enfantine supposées qu’au terme de médiations arides et douloureuses . par exemple, la plénitude de la joie ou la puissance créatrice de l’artiste sont la conséquence d’un effort immense sur soi-même. l’imposture consisterait à l’oublier… lorsque les artistes modernes initient le mouvement de la modernité en exaltant l’enfance, la virginité des commencements (cf. citations précédentes de klee et cézanne), lorsque montaigne met sur un piédestal « l’enfant-philosophe », ils sont eux-mêmes pétris d’une culture dont ils ne dénoncent le carcan que parce qu’ils sont allés jusqu’au bout de sa fécondité. souvenons-nous des paroles de klee : « … être  comme  un nouveau né …. etre  presque  primitif… ». sauf qu’un nouveau né ne produira jamais un klee  a cause de sa grande indigence native  le « comme » et le « presque » sont ici décisifs :  la figure de l’enfance est une métaphore .  elle n’en constitue pas moins un puissant stimulant de la visée philosophique... il ne s’agit pas ici de montrer toutes les ressources et toute la puissance (considérables) de cette métaphore de l’enfance, mais seulement un de ces aspects..., 10. penser par soi-même et avec les philosophes : une seule et même chose...,     , "penser par soi-même", cela signifie-t-il penser seul d’une certaine façon, oui : exercice souvent solitaire.  le voyageur immobile est aussi un voyageur solitaire...  comme le dit le poète josé maria rilke, la solitude est une condition requise à une véritable présence au monde :  « une seul chose est nécessaire, la solitude. la grande solitude intérieure. aller en soi-même et ne rencontrer durant des heures personne, c’est à cela qu’il faut parvenir…  ». une sorte de « disposition préréflexive » est nécessaire pour se laisser affecter par l’énigme du monde. ce retrait –toute pensée est en elle-même retrait réflexif – fait du philosophe une sorte d’étranger, quelqu’un qui « n’est jamais tout à fait de ce monde, et jamais cependant hors-monde »  (merleau-ponty). le « dialogue de l’âme avec elle-même » dont parle platon pour caractériser l’activité philosophique, et que hannah arendt appelle « le deux-en-un », est compatible d’une certaine façon avec cette solitude. mais cette solitude n’a de sens que si elle permet de mieux retrouver le monde commun. c’est par cette capacité à varier les points de vue, à ne pas coïncider avec soi-même mais au contraire être capable de se décentrer pour penser à la place de tout autre, ce qu’incarne le « deux-en-un », que ce dialogue avec soi-même est aussi dialogue avec les autres.  et ce dialogue avec les autres passe aussi (et peut-être surtout) par le dialogue virtuel avec tous ceux qui se sont avérés être des figures incontournables  de la « réflexion » que l’humanité n’a jamais cessé d’opérer sur elle-même.  car l’humanité en effet n’est pas un morceau de nature comme un autre, au sens où elle ne cesse pas de se « réfléchir » (en tant que « conscience de soi ») dans l’art, la religion, mais surtout la philosophie (l’apport de hegel à ce sujet est décisif).   le dialogue avec les philosophes  (et donc avec la philosophie)   introduit à une sorte de quintessence des points de vue d’autrui, dans la forme la plus élaborée possible.  et cela aussi bien à l’échelle du temps qu’à celle de l’espace.  le dialogue platonicien de l’âme avec elle-même, en sollicitant l’autre en soi-même, se trouve « gros » de tous les autres.  la « solitude » du penseur  –qui n’est pas inexact- n’est qu’un détour nécessaire pour retrouver et prolonger la présence de tous les autres extérieurs...., 11. la pensée en héritage («  hériter, c’est reconnaître « que nous devons recevoir ce qui est plus grand, plus vieux, plus puissant, plus durable que nous »  (derrida ) , nous avons certes le droit de rêver à la virginité des premiers commencements, magnifier l’enfance, comme klee ou cézanne. mais sans oublier que cette « fraîcheur » ou cette « créativité » s’acquièrent au prix d’arides médiations sociales et culturelles  il en va de même pour tout ce courant de la philosophie, nommé phénoménologie (d’ailleurs contemporain de paul klee) qui s’efforce de vouloir « revenir aux choses-mêmes », renouer avec une « philosophie première » qui nous livrerait un regard neuf et « originaire » sur le monde : les pensées de husserl, heidegger, merleau ponty, lévinas, ricoeur, pour ne citer que ceux-là (ils sont peu ou prou des représentants de cette orientation philosophique) ne sont-elles pas lourdes de toute la tradition philosophique occidentale   le penser par soi-même, s’il signifie l’indépendance du jugement, est très éloigné d’une pensée « hors-sol »  (c’est-à-dire hors de toute appartenance) qui se voudrait autosuffisante et ne ferait en réalité, nonobstant sa prétention à la singularité, que reconduire les idées les plus superficielles et dans l’air du temps. faute de soubassement et d’ancrage, une telle tentative conduit souvent au conformisme le plus plat de la part de ce que marcel gauchet appelle « des individus dépendants à prétention d’indépendance ».  car la singularité n’est pas indépendante, au contraire,  de son  inscription dans ce qui la précède . nous retrouvons bien sûr ici  le thème de l’héritage  que nous avions abordé il y a deux ans ici même. la formation pleine et entière de ce que je suis (et donc aussi de mes pensées) passe par la reconnaissance et l’appropriation subjective de la communauté historique à laquelle j’appartiens et qui me fait ce que je suis. la réflexion philosophique n’échappe pas à cette règle... mais peut-être qu’aujourd’hui  se développe une « culture de la nature » (marcel gauchet) où les savoirs ne sont plus vécus comme source de l’excellence des êtres. ils sont certes des instruments indispensables utilisables si besoin, mais ils sont devenus étrangers à la fondation de l’individu. le nouvel impératif « d’être soi-même », si possible sans tenir compte des contraintes fixées par les codes sociaux, se substituerait au long travail sur soi qui était rendu nécessaire par la triple exigence de la culture, celle de la civilité, celle de la réflexion et de la maîtrise de la langue, celle d’un usage du monde qui nous permet de nous élever au-dessus de la nature et notre « barbarie » spontanée. » . certes, comme le dit si bien rené char, « notre héritage n’est précédé d’aucun testament », car la tradition ne nous dit plus, comme c’était le cas auparavant, quels sont les trésors que nous devons garder... l’héritage est un double mouvement de réception et d’appropriation ; nous ne le choisissons pas (c’est lui qui nous choisi) mais en revanche nous décidons ou non de le faire vivre, de l’interpréter, de le transformer. même la critique la plus radicale – au sens de s’en prendre à quelqu’un ou quelque chose – suppose toujours au commencement un hommage à ce que l’on critique. comment pourrions-nous vraiment philosopher sans mémoire philosophique  l’appropriation inhérente au « penser par soi-même » ne peut pas aller sans réception de ce qui nous précède...  « on ne possède jamais que ce qu’on a reçu et transformé, que ce qu’on est devenu grâce à d’autres ou contre eux »,  dit justement andré comte sponville., pourtant, il est difficile à l’individu contemporain de reconnaître que lui-même et son lien avec les autres dépend de quelque chose qui n’est pas lui, qui est hors de lui, et que la société est avant et au dessus de lui . l’héritage nous permet de devenir nous-mêmes par la médiation de ce qui n’est pas nous ; c’est ce rapport à l’altérité qui est constitutif de ce que nous sommes,  mais l’idée d’une telle prééminence ou antériorité par rapport à ce que nous sommes et ce que nous pensons nourrit chez nous une certaine défiance...  nous voulons ne devoir à nul autre que nous même pour advenir..., il faudrait montrer que cette attitude renvoie au changement anthropologique profond de ces dernières décennies, en lien avec le plein déploiement de la société des individus : le ressort de l’appartenance s’est progressivement effacé, et le « devenir-individu » n’est plus pensé comme rattaché à un « devenir-humain » plus large, qui passait par l’appropriation des leçons du passé et de l’esprit de la communauté. je ne peux interpréter certaines velléités d’émancipation du philosopher de toute dépendance à un quelconque corpus préexistant, sans la référence à cette absolutisation de l’indépendance individuelle qui veut s’abstraire (bien sûr en vain) de toute référence hors d’elle-même., en conclusion, l’esprit humain est ainsi fait qu’il adore les pensées unilatérales. malgré nos deux voix différentes, j’espère que nous n’avons pas sombré sur cet écueil. car toute la difficulté consiste précisément à trouver le juste équilibre entre l’indépendance et l’appartenance, et la notion d’héritage au sens moderne suggère fortement un tel équilibre. de toute façon, et quoiqu’on fasse ou dise, la précédence est une contrainte constitutive de l’expérience humaine. autant donc le prendre au sérieux et entretenir autant que possible une relation sensée avec ceux qui nous ont précédés et qui pèsent dans l’histoire (même contemporaine) de la pensée. d’un autre côté, si nous devions refaire le trajet de la connaissance pour notre propre compte, et d’une manière plus globale revivre en pensée toute l’histoire de ceux qui nous ont précédé, nous serions morts avant d’avoir commencé à vivre  nous voyons ici tous les enjeux de l’éducation. là encore, l’art pédagogique doit évoluer entre deux termes extrêmes : il faut certes  revaloriser une transmission mise à mal, mais non sans tenir compte que ce nouvel individu existe par lui-même et doit participer activement à la construction de ses connaissances s’il veut pouvoir les maîtriser de façon satisfaisante (cela constitue une donnée incontournable de notre temps). c’est le legs hérité de la culture individualiste contemporaine qui, malgré les questions difficiles auxquelles elle nous confronte, représente aussi les acquis ô combien précieux de la démocratie...,                                                                                             daniel mercier, le10/06/2015.

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La philosophie du voyage

La philosophie a toujours pensé le voyage et s’est toujours elle-même pensée, et exprimée, en termes de voyage : de départ, de déplacement, d’arrivée... Qu’il s’agisse de ce « cavalier français qui partit d’un si bon pas », comme l’écrit Péguy à propos de Descartes, de l’aboutissement du cheminement de l’Histoire, de la transmigration des âmes, ou du paradoxe du voyageur immobile, l’homme est toujours conçu comme homme voyageur, Homo viator .

La philosophie a toujours pensé le départ, ou le commencement qui est comme un départ. Descartes meurt à ses convictions pour partir de la certitude, quitte à retourner avec un esprit neuf vers certaines convictions pour les souligner de certitude. Cette disposition au départ, c’est le doute. Il n’y a de véritable départ qu’avec un esprit neuf, même si l’on emprunte d’anciens et vénérables frayages. « Homère est nouveau ce matin », s’émerveille Péguy, entreprenant le voyage de la lecture du voyage d’Ulysse. Faut-il entonner un chant du départ ? Pas toujours. Le départ forcé pour l’exil nous entraîne en terre étrangère, ou pire, fait de nous des étrangers chez nous, et parfois des étrangers en nous, comme la déportation vers toutes les aliénations. Ce départ risque de nous faire perdre toute espérance. On ne peut pas toujours imaginer l’exilé heureux à l’entrée de ce que l’on identifie à l’Enfer. Ainsi Mary Barnes initiant son Voyage à travers la folie .

Le déplacement après le départ est lui-même pensé, nécessairement pensé.

Comme l’écrivait l’auteur de Tristes Tropiques Claude Lévi-Strauss, tout déplacement dans l’espace est aussi, simultanément, un voyage dans le temps. Nous ne voyageons pas seulement dans un espace géométrique, celui de la mathématique universelle des modernes, mais dans un monde signifiant, culturel et valorisé, où se détache le relief des choses, ce « relief axiologique » dont nous parle Raymond Ruyer dans Le monde des valeurs , qui nous permet de discerner l’important en soi ou l’important pour nous, du fond d’indifférence que nous avons raison – ou tort – d’abandonner à l’inattention. C’est pourquoi le voyage peut avoir plusieurs noms. Ce peut être celui de l’explorateur, du conquérant, de l’ethnologue, du poète ou encore du pèlerin. Le voyage peut également être onirique, comme celui d’ Alice au pays des merveilles , ou pédagogique : en les proposant dans son programme d’éducation, Rousseau confirme dans L’Emile l’adage selon lequel les voyages forment la jeunesse.

Tout voyage a un terme au moins attendu, désiré, atteint, parfois inaccessible.

Le repos de l’être comblé, à la fois sommeil du juste ou rêve accompli du héros, de l’artiste ou du saint. Le voyageur odysséen atteint enfin son Ithaque, l’Ithaque de la société sans classes et de la reconnaissance de l’homme par l’homme, le bonheur de vivre ensemble, comme le théorisent les penseurs du système, Hegel, Marx. Mais cette Utopie – l’étymologie nous invite au pléonasme – n’a pas lieu : l’Histoire continue sa course ou son errance de vaisseau fantôme bien après le terme qui lui était assigné par le système. Ce système est lui-même embarqué, misérable filet abandonné sur le pont, dans le cours du temps, comme l’a bien compris l’ironique Kierkegaard. Tout est pareil de l’autre côté du miroir de la fiction théorique. D’où la tentation récurrente, dans l’histoire de la philosophie, de penser le voyage comme l’expérience paradoxale du « voyageur immobile » qui ne doit point se soucier d’accéder à un objectif lointain. Le voyage déplace les corps mais ne déplace pas l’identité à soi, notre demeure intérieure, ou « l’acropole intérieure », comme dirait le stoïcien. Le voyage ne nous expulse pas hors de nous-mêmes, ne nous fait pas échapper à nous-mêmes.

Départ, déplacement avec ou sans arrivée, le voyage, pensé et vécu par le philosophe, est autre que le voyage confusément pensé, et illusoirement vécu dans l’imaginaire et les désirs ordinaires du voyageur. Il est retourné ou converti. Le concept de chien n’aboie pas. La pensée du voyage n’est pas le voyage. Elle est sa demeure.

Aurélia Tréguier

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Les voyages : rêves et réalités

Ce livre est recensé par

Vers une philosophie du voyage : Madame de Staël

Plan détaillé, texte intégral.

1 Avant que ne se développe le mythe romantique et dix-neuviémiste, selon lequel le voyage aurait le pouvoir de métamorphoser le voyageur, de renouveler ses pensées et de lui ouvrir un destin inédit, le voyage suscitait une défiance qui exigeait d’en justifier l’entreprise. Pèlerinage, voyage d’artiste, mission exploratoire, initiative commerciale, toute expédition se jugeait d’abord à ses fruits. Le Grand Tour, lui-même, n’y faisait pas exception puisque, accompli dans des lieux bien déterminés, il consacrait l’appartenance au monde des gentilshommes.

2 Nulle exposition encore à l’altérité pour l’altérité : point d’effort pour concevoir « autre » en se confrontant à une « incompréhensibilité éternelle », comme le voudra Segalen 1  ; point de mise à l’épreuve, non plus, de nos catégories de pensée face à un monde différent, dont on ne saurait savoir à l’avance si l’effet sera libérateur ou destructeur, comme l’entendra Ernesto Grassi dans Reisen ohne Anzukommen – Eine Konfrontation mit Südamerika 2 . À l’âge classique, le voyage se doit d’être édifiant, agréable ou utile : « L’instruction en tout genre est, ou doit être, l’un des principaux objets des voyageurs », écrit Boucher de La Richarderie, pour ne citer que lui 3 .

3 Aussi bien, la première raison qui intéresse à la conception staëlienne du voyage est-elle son absence d’hédonisme : « Voyager est, quoi qu’on puisse dire, un des plus tristes plaisirs de la vie », affirme M me de Staël au début de Corinne. « Le nouveau, l’inconnu m’effraie », écrit-elle à son père 4 . « Les voyages m’effrayaient », insiste-t-elle dans Dix années d’exil. Cet aveu peut étonner chez une femme aussi intelligente et active. Il trahit une exigence de vérité psychologique assez exceptionnelle pour l’époque : quel homme, au même moment, se serait ainsi « exposé » en personnalisant son effroi ?

4 Une seconde raison qui intéresse aux considérations de M me de Staël tient à ce qu’elle est un des rares théoriciens du sublime en France. Or, c’est sous les auspices de celui-ci que s’engage, dès le milieu du xviii e siècle, une critique très fine de ce que nous appelons trop grossièrement « plaisir ». S’il existe, en effet, des plaisirs simples qui nous envahissent dans l’instant, nos plaisirs sont le plus souvent relatifs et même négatifs : nous les acquérons au prix d’une « douleur », dont Burke souligne, bien avant Freud, la nature de principe et la « réalité » contraignante. Si nous nous abandonnons souvent volontiers à nos plaisirs, nous ne nous soumettons jamais de plein gré à la douleur. Lorsque celle-ci persiste et s’accroît sans parvenir à se convertir en plaisir, est-ce l’effort de sublimation qui avorte ? Ou bien est-ce que « le deuil éclatant du bonheur 5  » constitue le prix à payer du génie, en tout cas pour une femme ? « Quand une personne de génie est douée d’une sensibilité véritable, ses chagrins se multiplient par ses facultés mêmes 6 . » M me de Staël estime que sa situation de femme de lettres est celle d’une « paria », mais qu’« il y a toujours des découvertes à faire au pays de la douleur 7  ». Son héroïne, Corinne, se déclare une « exception à l’ordre universel » en se sentant exclue de la félicité générale : « O mon Dieu ! », s’écrie-t-elle, « pourquoi m’avez-vous choisie pour supporter cette peine ? Ne pourrais-je pas demander comme votre divin fils que cette coupe s’éloignât de moi 8  ? » Et Sapho, dans la pièce éponyme de M me de Staël, vient à comparer le génie qui la dévore au « vautour de Prométhée 9  ».

5 Ces références chrétienne et mythologique ne doivent, cependant, pas faire illusion. M me de Staël, à l’instar des classiques, est avide de bonheur : nulle complaisance dans le malheur qui lui échoit, mais un goût intense de la communication et de la construction. Point d’identification, non plus, au génie masculin : si elle souffre, c’est parce que son talent « a besoin d’une indépendance intérieure que l’amour véritable ne permet jamais 10  ». Mais, que l’accomplissement par l’amour lui fût refusé, c’est une chose à laquelle elle ne consentit pas dans sa propre existence. Elle voulut d’ailleurs épouser secrètement, sept mois avant sa mort, en 1817, John Rocca, auquel elle s’était unie dès 1810.

6 À l’originalité qui consiste à prendre le contre-pied de la conception hédoniste du voyage, à la prise au sérieux d’une douleur dans laquelle elle ne se complaît pas, mais qu’elle subit comme infligée, se joint une troisième raison d’intérêt : la réflexion que mène M me de Staël sur le statut du sensible et ce qu’on pourrait appeler « le paradoxe de l’immédiateté ». Y a-t-il des « données sensibles » ou bien celles-ci ne sont-elles que des « occasions » pour les idées ? Les monuments et les œuvres d’art sont-ils d’abord à percevoir ou d’abord à rêver et célébrer ? Le problème se posa à Winckelmann, dont Herder soulignait le « ton hymnique » ou plus précisément pindarique 11  : davantage que l’observation, ne sont-ce pas l’imagination et la culture antique de Winckelmann qui ont transformé l’Apollon du Belvédère, somme toute assez bonasse et plutôt « néronien », au dire de Heinse, en « merveille » inoubliable et proprement indescriptible ?

7 Le problème se posa à l’âge classique, confronté à la multiplication des œuvres visuelles et à leur reproduction, en même temps qu’à une nature dont la révolution galiléo-copernicienne faisait découvrir l’histoire et les formes spécifiques. D’un côté, l’ascèse du génie observateur est ce à quoi différentes formes de classicisme donnent ses droits ; et on pourrait soutenir qu’étendre et approfondir le domaine de la vision fut le grand projet du xviii e siècle. De l’autre, l’observation rencontre de fortes réticences, formulées par des philosophes qui prennent le relais des théologiens. On sait comment Augustin dénigrait tout intérêt aux grands spectacles naturels et prônait le retour à « l’homme intérieur » comme la seule et unique voie d’accès à Dieu :

Les hommes s’en vont admirer les cimes des montagnes, les vagues énormes de la mer, le large cours des fleuves, les côtes de l’Océan, les révolutions des astres, et ils se détournent d’eux-mêmes 12  !

8 Pétrarque, parvenu au sommet du mont Ventoux, eut la mauvaise fortune d’ouvrir sur ce passage un exemplaire des Confessions. Et tout son plaisir disparut : « […] Rien n’est admirable que l’âme et […] pour l’âme, lorsqu’elle est grande, rien n’est grand 13 . »

9 De saint Augustin à Malebranche, dont la philosophie se trouve souvent confondue avec le cartésianisme au xviii e siècle, on constate peu de changement. Le corps ne permet de voir les choses que « selon le rapport qu’elles ont à la conservation de la vie ». Les idées ne peuvent être réellement vues qu’en Dieu, si bien « que nos sens, notre imagination et nos passions nous sont entièrement inutiles pour découvrir la vérité et notre bien 14  ».

10 Reste qu’aux tenants de la philosophie rationnelle, cartésiens et malebranchistes, comme aussi spinozistes et leibniziens, s’opposent les empiristes, baconiens, lockiens, humiens et sensualistes, déniant l’existence d’idées innées et s’appuyant sur l’expérience. Si l’esprit n’est « au commencement » qu’« une table rase, vide de tous caractères, sans aucune idée, quelle qu’elle soit 15  », les « matériaux » de nos pensées proviennent, en effet, moins des objets eux-mêmes que de l’expérience, c’est-à-dire des « observations que nous faisons sur les objets extérieurs et sensibles, ou sur les opérations intérieures de notre âme, que nous apercevons et sur lesquelles nous réfléchissons nous-mêmes ». L’esprit ressemble à une « chambre noire » où viennent se peindre les images des choses 16 , mais hors de laquelle nous ne savons rien du monde.

11 Rappelons d’ailleurs qu’empirie dérive du grec peirao qui signifie se mesurer avec, traverser. Or, comme le remarque Ernesto Grassi,

Il est évident qu’on ne peut identifier l’empirie avec ce que les sens réalisent dans la vie animale. S’il en était ainsi, l’animal devrait posséder l’empirie au plus haut point. Mais c’est en contradiction avec le fait que les animaux réalisent leur monde non tant sur les bases de l’empirie que sur celles de leurs comportements et de leurs schèmes originaires. Aristote lui-même affirmait que les animaux ne possédaient quasiment pas l’empirie 17 .

12 Le problème n’est pas alors de répéter que toutes nos connaissances proviennent des sens, mais de comprendre comment elles en proviennent, de manière à ne pas réduire les idées des sensations à ce que les sensations peuvent renfermer. Et le langage joue alors un rôle de médiateur essentiel, comme le montre Condillac 18 .

13 Or, c’est dans l’horizon de cette philosophie et de ses prolongements chez les Idéologues que M me de Staël forme sa pensée avant d’aborder la philosophie allemande. Peut-on dire qu’elle réfléchit sur ses impressions et les transforme en langage ? Pareille expression ne serait pas exacte, car tout ne devient pas langage à ses yeux : tout est déjà langage.

Corinne, en dansant, faisait passer dans l’âme des spectateurs ce qu’elle éprouvait, comme si elle avait improvisé, comme si elle avait joué de la lyre ou dessiné quelques figures ; tout était langage pour elle 19 .

14 Cela n’est pas seulement vrai de ses gestes et de ses dessins ; cela est déjà vrai de l’apparence sensible, tissée de mots et repétrie par le désir qui nous porte vers elle.

15 Essayons donc, dans cette triple perspective, d’aborder le voyage chez M me de Staël. On peut en distinguer trois types dans son œuvre comme dans sa vie : le voyage contraint et forcé de la fuyarde ou de l’exilée, le voyage des amants soucieux de maintenir un constant tête-à-tête et le voyage documentaire, artistique et scientifique. Avant d’expliquer pourquoi le premier me semble le plus original et intéressant, examinons brièvement la nature des deux autres.

Du voyage des amants

16 « Il n’y a rien de si doux que de voyager avec ce qu’on aime ! », s’exclame Delphine dans le roman éponyme de 1803. Le bonheur s’accroît de la certitude de n’être pas dérangé et trois mécanismes psychiques entrent en jeu : la concentration de l’intérêt sur la personne aimée, la satisfaction de la curiosité par la rencontre du nouveau, la comparaison entre l’étranger et l’intime.

Le sentiment d’isolement que fait éprouver cette situation, ce sentiment pénible, quand on est seul, est précisément ce qui rend les jouissances de l’affection plus délicieuses. Vous ne connaissez personne, personne ne vous connaît ; vous traversez des pays nouveaux, votre curiosité est agréablement satisfaite, mais rien ne vous distrait de l’idée profonde qui remplit votre cœur ; vous aimez à sentir à chaque instant la différence de cet univers étranger qui passe devant vos yeux, avec cet être cher, si intime, que vous avez près de vous, et qu’aucune affaire, aucune relation de société ne vous enlèvera, même pour un moment 20 .

17 L’isolement de la société est d’abord compensé par une communication ininterrompue ; aux plaisirs de la conversation dans un cercle animé se substitue ensuite un épanchement des âmes qui ne s’effectue que dans l’intimité duelle ; enfin, l’ennui qu’on craint pour l’être aimé en même temps que pour soi-même se trouve conjuré grâce aux impressions nouvelles : « Plus on aime, moins on se fie au sentiment qu’on inspire », note finement M me de Staël 21 .

18 Un pas supplémentaire sera fait dans le roman d’éducation à l’envers ou de destruction sentimentale qu’est Corinne. À l’instar de Schéhérazade dont les mille et un récits sont conçus pour charmer Shahzaman, Corinne élabore un véritable « système » de séduction pour gagner le cœur de Lord Nelvil : la « démonstration de l’Italie » par l’amour. Magie de la femme-artiste, magie des lieux, magie de l’architecture, tout devra se confondre. Mais ni le nouveau, ni le simple beau ne lui suffiront alors : Corinne convoquera la grandeur, la noblesse et le sublime.

Je ne sais si je me trompe, mais il me semble qu’on se devient plus cher l’un à l’autre, en admirant ensemble des monuments qui parlent à l’âme par une véritable grandeur. Les édifices de Rome ne sont ni froids, ni muets ; le génie les a conçus, des événements mémorables les consacrent ; peut-être même faut-il aimer surtout un caractère tel que le vôtre, pour se complaire à sentir avec lui tout ce qu’il y a de noble et de beau dans l’univers 22 .

19 Que répond le destinataire de pareil programme ? « Oui, reprit Lord Nelvil, mais en vous regardant, mais en vous écoutant, je n’ai pas besoin d’autres merveilles. – Corinne le remercia par un sourire plein de charmes. » Entre les deux amants, nulle communauté véritable de goût : d’un côté le besoin et l’exigence d’élévation au contact des œuvres les plus hautes de l’art et de la nature ; de l’autre, une méfiance radicale à l’égard d’un sublime surgissant dans une sphère esthétique, d’avance appauvrie et discréditée par son opposition à une prétendue sphère morale. M me de Staël évoque en termes quasi malebranchiens la « fixité des idées » que Lord Nelvil, de retour en Angleterre, sera heureux de substituer à ce qu’il se représente comme le « vague enivrant des beaux-arts 23  ». À Rome, déjà, « l’éloquence de Corinne excitait l’imagination d’Oswald sans le convaincre ; il cherchait partout un sentiment moral, et toute la magie des arts ne pouvait lui suffire 24  ». Tentant alors d’expliquer l’amour de Corinne pour un homme qui comprenait si mal la profondeur de l’art, M me de Staël reconnaît qu’elle « avait tort, pour son bonheur, de s’attacher à un homme qui devait contrarier son existence naturelle, et réprimer plutôt qu’exciter ses talents ». Mais, ajoute-t-elle,

l’on est si souvent lassé de soi-même qu’on ne peut être séduit par ce qui nous ressemble : il faut de l’harmonie dans les sentiments et de l’opposition dans les caractères pour que l’amour naisse à la fois de la sympathie et de la diversité 25 .

20 Aussi bien une conjonction détestable risque-t-elle de surgir entre l’amour et le malheur. Et toute nature généreuse, en prodiguant de nouveau son crédit, renouvelle presque inévitablement l’expérience de la déception.

Du voyage de découverte et de documentation

21 Au voyage d’amour heureux s’oppose le voyage d’amour trahi ou le voyage solitaire qui expose à un dessaisissement radical : perte de l’identité physique, du nom, de la réputation et de la mémoire, effondrement des habitudes et des attaches muettes. Mais entre le voyage d’amour et l’errance de l’exilée, reste le voyage de découverte et de documentation. Interdite du « séjour » de la capitale, M me de Staël transforme son malheur objectif en source de stimulation et de profit. Mieux : puisque Napoléon la force à l’Europe, c’est cette Europe qu’elle peindra et fera connaître aux Français. Napoléon lui interdit l’Angleterre, « ce point lumineux du monde 26  » ; il déjoue ses ruses qui consistent à prétendre s’embarquer pour l’Amérique sur un bateau qui passe par l’Angleterre. Soit ! elle ira ailleurs. Ainsi raconte-t-elle dans Dix années d’exil , comment, après son « renvoi » de France en 1803, elle « craignait le dégoût de revenir, renvoyée » à Coppet, dans un pays qu’on l’« accusait de trouver un peu monotone ».

J’avais aussi le désir de me relever, par la bonne réception qu’on me promettait en Allemagne, de l’outrage que me faisait le premier consul, et je voulais opposer l’accueil bienveillant des anciennes dynasties à l’impertinence de celle qui se préparait à subjuguer la France.

22 Paradoxalement, Napoléon provoqua de la sorte l’écriture De l’Allemagne et de Corinne – deux livres qu’il condamna et dont la police traqua si bien les traces que le premier lui échappa seulement de justesse. Le désir vint, en effet, à M me de Staël de composer un ouvrage qui concernait l’Allemagne ; et elle ressentit, de surcroît, l’impulsion de son roman. « Hier, j’ai fait un nouveau plan de roman en voyant une pièce d’imagination et de féerie tout à fait remarquable », écrit-elle à son père : il s’agissait de La Nymphe de la Saale , de Karl Friedrich Hensler, dont le thème était déjà un homme placé entre deux femmes.

23 L’horreur des pays froids et obscurs saisit l’écrivain au cours de son voyage de Francfort à Weimar :

Certainement votre destinée n’est pas plus malheureuse en elle-même parce que le ciel est sombre, les auberges noires, la terre couverte de neige, et parce que vous ne rencontrez que des visages inconnus dans un pays où vous arrivez pour la première fois, cependant , ces circonstances excitent au fond du cœur toutes les pensées tristes, et comme la vie humaine est sombre en elle-même, du moment que la distraction a cessé, du moment surtout que la nature voile toutes ses merveilles, obscurcit son langage, il semble que le Créateur se retire de vous. Non, je ne vivrai jamais dans le Nord ; mon âme n’a plus assez de jeunesse pour se passer du soleil. Si l’on est mécontent des hommes, les regards ne rencontrent dans la campagne que des brouillards ténébreux. Où trouver dans un tel pays l’image de l’espérance 27  ?

24 À ce besoin de soleil s’ajoute l’influence du peintre Rehberg, des collectionneurs d’art, des admirateurs de Winckelmann, de Gœthe qui avait visité l’Italie de 1786 à 1788 ou de la duchesse de Saxe-Weimar qui connaissait bien Rome. C’est à Weimar, avoue-t-elle, que « je m’occupais vivement alors d’un voyage en Italie dont les Allemands me faisaient sentir le prix en m’entretenant de leur amour pour les beaux-arts 28  ». Enfin, M me de Staël était convaincue qu’« il y avait deux nations hors de mode en Europe, les Italiens et les Allemands 29  » et qu’il fallait donc les faire toutes deux mieux connaître.

25 Ce n’est donc pas l’amour concret de l’Italie qui a inspiré le roman de Corinne. Bien au contraire, c’est l’idée du roman qui a incité M me de Staël à faire le voyage d’Italie pour s’y documenter. La culture et l’imagination placent le cadre : les impressions sensibles viendront dans un second temps. On songe de nouveau à Winckelmann et à ce rêve de l’antique qui, longtemps poursuivi, lui permet de « voir » Rome telle que nul autre avant lui ne l’avait vue. Voir est une opération qui demande du génie : on ne saurait assez s’y préparer.

26 Corinne ou l’Italie fut classé à la Bibliothèque nationale, jusqu’à la fin du xix e siècle, comme guide de voyage. De fait, l’ouvrage permet aux touristes de jouir plus amplement des monuments et des paysages. M me de Staël y décrit admirablement la nuit romaine, quand « tout ce qui sépare de l’antique est assoupi » et que « les ruines se relèvent 30  », les pavés brûlants de Naples, la prise de « congé de la végétation » à Venise, etc. 31 . Mais je voudrais en venir à la déréliction dont elle témoigne dans un exil qui l’éloignait de tout ce qui comptait à ses yeux : son nom, sa famille, ses amis, son pays. Autrement dit sa mémoire et son avenir, tel qu’elle avait pu l’imaginer.

Du voyage contraint et solitaire

27 « Voyager est, quoi qu’on puisse en dire, un des plus tristes plaisirs de la vie. » Ainsi commence le chapitre ii du premier livre de Corinne , en écho aux premières phrases du chapitre i :

Oswald Lord Nelvil, pair d’Ecosse, partit d’Edimbourg pour se rendre en Italie de 1794 à 1795. […] La plus intime de toutes les douleurs, la perte d’un père, était la cause de sa maladie. […] Quand on souffre, on se persuade aisément que l’on est coupable, et les violents chagrins portent le trouble jusque dans la conscience 32 .

28 Le véritable voyage, l’errance solitaire, ne commence qu’après un naufrage ; il suppose qu’on ait brûlé ses vaisseaux, que nulle amarre ne subsiste, que le séjour dans la patrie soit interdit ou devenu impossible, qu’une faute même puisse en être la cause. Voyage, maladie, deuil, sentiment de culpabilité : M me de Staël était en Allemagne, au moment où son père mourrait seul à Coppet. À qui en imputer la faute ?

29 L’idée de culpabilité est toujours plus ou moins associée chez M me de Staël au voyage, conçu comme forme d’abandon et source d’indignité, du moins s’il n’est pas justifié par un motif qui, lui enlevant tout aspect de vagabondage, le transforme en « séjour » durable et utile. Lisons la suite du chapitre ii de Corinne  :

Lorsque vous vous trouvez bien dans quelque ville étrangère, c’est que vous commencez à vous y faire une patrie ; mais traverser des pays inconnus, entendre parler un langage que vous comprenez à peine, voir des visages sans relation avec votre passé et votre avenir, c’est de la solitude et de l’isolement sans repos et sans dignité  ; car cet empressement, cette hâte pour arriver là où personne ne vous attend, cette agitation dont la curiosité est la seule cause, vous inspire peu d’estime pour vous-même, jusqu’au moment où les objets nouveaux deviennent un peu anciens, et créent autour de vous quelques doux liens de sentiment et d’habitude.

30 Peut-on lire plus profonde condamnation de l’agitation et de la curiosité, et, inversement, plus grand éloge du connu, du familier, de ce qui est inscrit dans la durée, du lien et de son patient établissement ? C’est dans l’installation, non dans l’errance, que l’estime de soi peut se conquérir, qu’on perd le sentiment de n’être « personne » pour devenir une personne.

31 Partire è un puo morir , dit l’adage. Le deuil d’un être cher contraint à une forme d’exil, intérieur ou extérieur. « Il faut, après un grand malheur, se familiariser de nouveau avec ce qui vous entoure », écrit superbement M me de Staël : la mort déstabilise si bien l’environnement qu’on ne sait parfois s’il vaut mieux fuir ou bien accomplir le travail sur place. Nelvil réalise le premier choix à l’instar de M me de Staël, voyageant en Italie après la mort de son père.

32 L’exil consécutif au deuil le « réalise » par le refus de cultiver des liens défaits. Mais il y a aussi un exil qui, tel le séjour obligé de Corinne en Angleterre, engendre les mêmes symptômes qu’un véritable deuil. La « maladie du pays », dit M me de Staël, constitue « la plus inquiète douleur qui puisse s’emparer de l’âme ».

L’exil est quelquefois, pour les caractères vifs et sensibles, un supplice beaucoup plus cruel que la mort ; l’imagination prend en déplaisance tous les objets qui vous entourent, le climat, le pays, la langue, les usages, la vie en masse, la vie en détail ; il y a une peine pour chaque moment comme pour chaque situation 33 .

33 « Les années passées à l’étranger sont comme des branches sans racines. » L’exil dessèche, amoindrit, réduit l’être à l’ombre de lui-même, ainsi que le montrait déjà Ovide dans ses Tristes. C’est pourquoi le retour en Italie apparut à Corinne comme l’instrument d’une véritable résurrection : les sons de la musique italienne lui firent l’effet des trompettes du Jugement dernier. Car l’exil l’avait couvert d’un froid suaire dont il lui fallait se défaire sans tarder.

Si la vie était offerte aux morts dans leurs tombeaux, ils ne soulèveraient pas la pierre qui les couvre avec plus d’impatience que je n’en éprouvais pour écarter de moi tous mes linceuls, et reprendre possession de mon imagination, de mon génie, de la nature 34  !

34 Seulement, pour y parvenir, il fallut à Corinne accepter les exigences de sa belle-mère : « changer de nom » et se « faire passer pour morte 35  ». Tout véritable voyage est initiatique : il suppose l’abandon des positions acquises, le renoncement au vieil homme, l’effroi d’une irrémédiable déréliction.

35 Pour comprendre la force des propos de Corinne, brimée par une belle-mère qui a le secret de « désenchanter la vie 36  » et de détruire tout talent, il faut les mettre en relation avec l’implacable « système » de persécution mis en place par Napoléon à l’encontre de M me de Staël et décrit dans Dix années d’exil. C’était déjà beaucoup d’être éloigné de Paris, puis de France, et de ne pouvoir aller en Angleterre : il lui fallut supporter qu’on rompît les formes et les planches de son livre De l’Allemagne en 1810, qu’on l’enfermât dans Coppet, sa tour d’Ugolin, et qu’on condamnât à l’exil tous ceux qui auraient l’audace de venir la voir. Ce système consistait à « me faire une prison de mon âme », écrit-elle, « en m’arrachant toutes les jouissances de l’esprit et de l’amitié 37  ».

Le préfet de Genève qui était chargé, par ordre de l’empereur, disait-il, de m’annuler (c’était son expression), ne manquait pas une occasion d’insinuer, ou même d’annoncer que toute personne qui avait quelque chose à craindre ou à désirer du gouvernement, ne devait pas venir chez moi. […] À chaque courrier le bruit se répandait que d’autres de mes amis [que M. de Montmorency ou M me Récamier] avaient été exilés de Paris pour avoir conservé des relations avec moi.

36 M me de Staël oscille alors sans cesse entre la tristesse de l’abandon et l’inquiétude de la fidélité :

Il est difficile qu’une situation plus douloureuse à tous les instants puisse se représenter dans la vie. Pendant près de deux ans qu’elle a duré, je n’ai pas vu revenir une fois le jour sans me désoler d’avoir à supporter l’existence que ce jour m’annonçait.

37 Essayons d’analyser systématiquement les formes du dessaisissement dont elle fait l’expérience dans un isolement croissant, jusqu’en 1812, date à laquelle elle réussit à s’enfuir de Coppet pour passer en Suède à travers l’Autriche et la Russie qu’envahissent les armées napoléoniennes. On est frappé du fait que l’exclusion d’un lieu aimé entre tous, Paris, la France, engendre un tel vacillement dans une personnalité pourtant fortement structurée.

38 1. La perte de la « figure », de l’aspect reconnaissable, du prosopon constitue le fait majeur. Nous avons vu plus haut comment l’exil était comparé à un linceul qui recouvrait ce qui ne devait pas être vu : un cadavre. Le linceul, le voile et le masque ne sont jamais transparents chez M me de Staël : ils sont opaques ou à la rigueur translucides, mais ne permettent alors que l’illusion de la reconnaissance, jamais sa certitude. Aussi bien engendrent-ils malaise ou évanouissement. Lors de la célébration de son mariage, Léonce croit un instant reconnaître Delphine voilée de blanc ; mais, comme elle disparaît en s’évanouissant derrière une colonne opportune, il impute « cette chimère » à « l’effet des lumières dans cette vaste église 38  ». De façon analogue, Lucile se figure un instant reconnaître les traits de sa sœur qu’elle croit morte, lorsque Corinne, voilée elle aussi de blanc, passe dans le jardin des Edgermond, un soir de bal, « sans aucun ornement de fête » ; mais elle tombe évanouie de frayeur et empêche ainsi Lord Nelvil de poursuivre et d’identifier la silhouette qui s’éloigne 39 .

39 L’être en voyage n’est personne. Corinne ne perd pas seulement son nom en Angleterre. Puisqu’on la tient pour défunte, elle perd aussi sa figure. Il est exclu qu’on la reconnaisse et Lord Nelvil, lui-même, a beau tourner à Londres autour de sa voiture, il s’éloigne sans la reconnaître 40 . L’être disparaît avec son personnage : la voyageuse ou la femme masquée n’est personne à qui on pourrait imputer des actions.

40 Une des scènes les plus terribles est un bal où les femmes vont déguisées et les hommes à visages découverts. Delphine cherche Léonce, l’homme qu’elle aime, en vue d’éviter un duel.

Errante ainsi, sans pouvoir être reconnue, et dans le trouble le plus cruel que je puisse éprouver, des sensations extraordinaires s’emparèrent tout à coup de moi ; j’avais peur de ma solitude, au milieu de la foule ; de mon existence, invisible aux yeux des autres , puisque aucune de mes actions ne m’était attribuée. Il me semblait que c’était mon fantôme qui se promenait parmi les vivants, et je ne concevais pas mieux les plaisirs qui les agitaient que, si du sein des morts j’avais contemplé les intérêts de la terre 41 .

41 La voyageuse n’est plus seulement un masque qui n’est pas reconnu : c’est proprement un « fantôme », une « chimère », rien ou, même pire, la figure de l’importun par excellence. Delphine rencontre, en effet, au bal Léonce qui se retourne vers elle, mais ne la reconnaît pas derrière son masque : « Léonce se retourna deux ou trois fois, étonné de mon insistance, et ses yeux se fixèrent sur ce masque qui l’importunait, avec une expression d’indifférence très dédaigneuse : ce regard, quoi qu’il ne s’adressât pas à moi , me serra le cœur. » Entre l’être masqué et le moi, une scission s’est créée : puis-je encore m’identifier à mon moi si autrui ne le fait plus ? Delphine, prise de vertige, perd alors la trace de l’homme qu’elle aime.

42 On saisit ici une première forme de dessaisissement qui tient à l’identité problématique du corps et de l’espace qu’il occupe : si autrui ne me reconnaît pas, comment me reconnaîtrais-je moi-même ? Songeons à Ulysse qu’Athéna savait si opportunément envelopper de brume ou bien dont elle modifiait l’apparence pour le dérober aux regards identificateurs. Mais, chose étonnante, Athéna soustrait également au regard d’Ulysse le paysage d’Ithaque ou bien lui recommande en Phéacie de ne « regarder aucun être humain en face ». Voir sans être vu a beau être un fantasme universel, qu’explicite le mythe de Gygès : c’est une source de souffrance majeure, lorsqu’on se sent exclu de ce qu’on voit. La vision exige une forme de réciprocité : je cautionne l’apparence d’autrui et il cautionne la mienne. Ces deux opérations se conditionnent l’une l’autre.

43 C’est pourquoi l’expérience de l’étranger, lorsqu’on est seul et que personne ne vous reconnaît, peut devenir si rude. Voyageant dans une ville inconnue (Orléans), M me de Staël note à quel point « c’est une sensation singulière que d’errer dans une ville où l’on ne connaît qui que ce soit, et où on n’est pas connu », mais avoue y trouver « une sorte de jouissance amère » qui consiste, écrit-elle,

à me pénétrer de mon isolement, à regarder encore cette France que j’allais quitter peut-être pour toujours, sans parler à personne , sans être distraite de l’impression que le pays même faisait sur moi 42 .

44 Ces deux dernières expressions me semblent remarquables : M me de Staël témoigne de l’intérêt qu’il y a à ne parler à nul autre qu’à soi-même et à se concentrer sur l’impression dans l’ascèse qu’impose la solitude. Lorsque le lien social se réduit à soi-même, l’impression acquiert une pureté exemplaire : elle devient au mieux réfléchissable parce qu’elle apparaît dans le seul miroir subjectif. Bref, M me de Staël a beau évoquer « cette terreur secrète de l’isolement, qui poursuit sans cesse les femmes dont la destinée est la plus brillante 43  » : elle avoue cependant le fruit qu’elle retire de la solitude. Faute de voir comment le pays la voit, elle est davantage sensible au pays comme pays et consent malgré elle à une asymétrie forcée. Foin alors de l’égalité, même simulée, qui faisait à ses yeux tout le plaisir de la conversation prolongée.

45 2. La perte de la face, du visage reconnaissable s’accompagne d’une perte du nom dont Delphine exprime de façon prémonitoire la terreur.

Je suis seule, sans appui, sans consolateur, parcourant au hasard des pays inconnus, ne voyant que des visages étrangers, n’ayant pas même conservé mon nom, qui pourrait servir de guide à mes amis pour me retrouver 44  !

46 Corinne, elle aussi, aura perdu son nom en Angleterre. Mais M me de Staël, dans les Dix années d’exil , dira sa joie de posséder au moins deux « noms » à faire reconnaître dans toute l’Europe : le sien et celui de son père. Car, au dessaisissement de la figure, la crainte du voyageur est d’ajouter le dessaisissement de l’autonomie du sujet parlant et écrivant, capable de participer à la constitution d’un univers de langage en constante évolution. La perte du nom serait celle de tout appui, fondé sur une réputation et une mémoire.

47 3. Quitter le « séjour » de la France, c’est d’abord perdre un horizon qui est celui de la terre natale, de la patrie. Rien de plus triste que le passage de la frontière qui éloigne de son pays.

J’avais passé la borne qui sépare la Suisse de la France : je marchais pour la première fois de ma vie sur une terre étrangère. O France ! ma patrie, la sienne, séjour délicieux que je ne devais jamais quitter ! France ! dont le seul nom émeut si profondément tous ceux qui, dès leur enfance, ont respiré ton air si doux, et contemplé ton ciel serein ! je te perds avec lui, tu es déjà plus loin que mon horizon, et comme l’infortunée Marie Stuart, il ne me reste plus qu’à invoquer les nuages que le vent chasse vers la France, pour leur demander de porter à ce que j’aime et mes regrets et mes adieux 45 .

48 Quel goût M me de Staël ne manifeste-t-elle pas pour la France et pour Paris ! L’amour du séjour de la capitale est lié au « besoin de jouissances animées » et à l’« ardeur d’être heureuse » :

Je ne dissimule point que le séjour de Paris m’a toujours semblé le plus agréable de tous : j’y suis née, j’y ai passé mon enfance et ma première jeunesse ; la génération qui a connu mon père, les amis qui ont traversé avec nous les périls de la révolution, c’est là seulement que je puis les retrouver. Cet amour de la patrie qui a saisi les âmes les plus fortes, s’empare plus vivement encore de nous, quand les goûts de l’esprit se trouvent réunis aux affections du cœur et aux habitudes de l’imagination. La conversation française n’existe qu’à Paris , et la conversation a été, depuis mon enfance, mon plus grand plaisir 46 .

49 De là cette confidence : « J’éprouvais une telle douleur à la crainte d’être privée de ce séjour, que ma raison ne pouvait rien contre elle. » Comment admettre qu’on abandonne au « caprice d’un seul homme » le pouvoir de condamner à l’exil ?

On rencontre plus de braves contre l’échafaud que contre la perte de la patrie. […] Nul député, nul écrivain n’exprimera librement sa pensée, s’il peut être banni quand sa franchise aura déplu ; nul homme n’osera parler avec sincérité, s’il peut lui en coûter le bonheur de sa famille entière. Les femmes surtout, qui sont destinées à soutenir et à récompenser l’enthousiasme, tâcheront d’étouffer en elles les sentiments généreux, s’il doit en résulter, ou qu’elles soient enlevées aux objets de leur tendresse, ou qu’ils leur sacrifient leur existence en les suivant dans l’exil 47 .

Vers une philosophie du voyage

50 Une véritable philosophie du voyage tend à se constituer de la sorte chez M me de Staël. On pourrait en distinguer trois étapes : d’abord sa condamnation comme simple vagabondage et forme subtile d’aveuglement, puis sa première et dangereuse sublimation en séjour, au risque de l’oubli du passé, et, enfin, sa véritable sublimation grâce au travail d’appropriation et d’universalisation opéré par une écriture mémorieuse.

51 1. Le voyage est l’expérience du dessaisissement radical, puisqu’il va jusqu’à la transformation de soi-même en un être anonyme, méconnaissable et méconnu : le voyageur n’est pas une personne, il n’est personne. Ulysse exprime la vérité du voyageur, lorsqu’il déclare à Polyphème s’appeler outis. Cette déclaration peut apparaître comme la suprême métis de « l’homme aux multiples ruses » ; mais elle exprime, par ailleurs, la vérité. Ulysse se décrit tel qu’il apparaît aux yeux de Polyphème, un outidamos , un moins que rien, qui est tout sauf menaçant, et anticipe ce qu’il deviendra après avoir aveuglé le fils de Poséidon : un errant, auquel les dieux refuseront longuement le retour dans sa patrie. Exilant Polyphème de la vision, il se prive lui-même de la vision du sol natal. L’Odyssée est une histoire d’œil et prend son point de départ dans cet œil aveuglé, comme l’a montré Jean-Pierre Vernant :

Quittant l’île du Cyclope, le héros entre, pour y demeurer, épreuve après épreuve, dans un monde de nulle part, un espace de l’ailleurs. Le fils de Poséidon, Polyphème, a été, de la main d’Ulysse, retranché de la lumière ; Ulysse se voit, à son tour, retranché de l’univers des hommes, de ce monde civilisé des mangeurs de pain où chacun, avec sa figure, son nom, sa réputation, son statut social, existe sous l’œil d’autrui 48 .

52 Sans doute M me de Staël ne quitte-t-elle pas le monde des hommes ; mais son univers se déshumanise en se désocialisant. Plus d’amitiés, ni d’habitudes : un désordre permanent, des visions non préparées et non liées, une perte radicale de mémoire, la transformation du voyageur en « chimère », en « fantôme », en mort-vivant.

53 2. « C’est l’oubli qui dégrade l’âme », écrit M me de Staël dans Corinne 49 . À l’instar d’Ulysse, M me de Staël est, en effet, une héroïne de la mémoire, de la fidélité aux siens, à son passé, à elle-même 50 . Jamais elle n’oublie ce qu’elle leur doit, ce qu’elle doit à la France et ce qu’elle se doit. C’est aussi, comme l’a remarqué Simone Balayé, qu’elle se montre « incapable de rompre ; quitter, être quittée, c’est sa plus grande souffrance. Jamais est un mot qui “fait mal dans la moindre chose” 51  ».

54 Dans une lettre magnifique à Benjamin Constant, lors des Cent Jours, M me de Staël exprime son désir de voir Napoléon, son ennemi de toujours, remporter la victoire. Car son refus va d’abord à l’occupation de la France par des armées étrangères :

Voulez-vous donc qu’on foule la France aux pieds ? […] Vous n’êtes pas français, Benjamin. Tous les souvenirs de votre enfance ne sont pas attachés à cette terre, voilà d’où vient la différence entre vous et moi : mais pouvez-vous vraiment désirer voir les Cosaques dans la rue Racine 52  ?

55 3. Aussi bien le paradoxe de M me de Staël est-il le suivant : en la contraignant à l’exil, en la poussant vers l’Allemagne et vers l’Italie, en lui faisant comprendre la nécessité d’échapper à la prison intérieure qu’il voulait lui créer, Napoléon l’a aussi obligée à contrecarrer ses instincts casaniers et développer son génie. Elle-même l’avoue d’ailleurs dans une lettre à M me de Berg : « L’exil m’a fait perdre les racines qui me liaient à Paris et je suis devenue européenne 53 . » Tout le problème de la sublimation est là. Loin de résulter d’une volonté claire et distincte, elle est ce à quoi le sujet se trouve acculé dans une quête panique d’issue. L’écriture staëlienne emprunte ainsi ses vertus à une lutte vitale pour la métamorphose. Plus qu’à un séjour, la vie ressemble alors à un voyage solitaire, injustifiable et labyrinthique.

Notes de bas de page

1 Victor S egalen , Essai sur l’exotisme [1945], Fata Morgana, 1978, p. 25.

2 Ernesto G rassi , Reisen ohne anzukommen – Eine Konfrontation mit Südamerika , Diessenhofen Rüegger, 1982. Voir Viaggiare ed errare – Un confronto con il Sudamerica , traduction de Cristina D e Santis , a cura di Massimo M arassi , La Città del sole, 1999, p. 50.

3 Voir Marie-Noëlle B ourguet , article « Voyages » du Dictionnaire européen des Lumières , sous la direction de Michel D elon , PUF, 1997.

4 27 octobre 1803. Voir l’article de Simone B alayé , « Absence, exil, voyage », dans Madame de Staël et l’Europe , colloque de Coppet (juillet 1966), Klincksieck, 1970. Je prends ici occasion de témoigner ma profonde gratitude à Simone Balayé pour l’aide et la stimulation qu’elle m’a apportées lors de nos rencontres et pour le présent travail.

5 De l’Allemagne , III, 19, S. B alayé (éd.), GF Flammarion, 1968.

6 Corinne , XV, 6, texte établi, présenté et annoté par Simone B alayé , Champion, 2000, p. 392.

7 Les carnets de voyage , S. B alayé (éd.), Genève, Droz, 1971, Weimar, 23 février 1804.

8 Corinne , texte XVIII, 3, p. 465.

9 Sapho , dans Œuvres complètes de M me de Staël-Holstein , Firmin Didot et Treuttel-Wurtz, 1838, tome II.

10 Corinne , XV, 9, op. cit. , p. 402.

11 Voir Winckelmann et le retour à l’antique , Premiers Entretiens de La Garenne-Lemot, 9-12 juin 1994, sous la direction de Jackie P igeaud , université de Nantes, 1995.

12 A ugustin , Confessions , chap. x , 9.

13 P étrarque , L’ascension du mont Ventoux , traduction de Denis M ontebello , Besançon, Éditions de l’Imprimeur, 1997.

14 M alebranche , De la Recherche de la vérité , 1674, édité par F. R odis -L ewis , Vrin, 1972 : « Préface », p. 19.

15 « L’entendement », écrit Locke, « ne ressemble pas mal à un cabinet entièrement obscur, qui n’aurait que quelques petites ouvertures pour laisser entrer par dehors les images extérieures et visibles, ou, pour ainsi dire, les idées des choses : de sorte que si ces images venant à se peindre dans ce cabinet obscur, pouvaient y rester, et y être placées en ordre, en sorte qu’on pût les trouver dans l’occasion, il y aurait une grande ressemblance entre ce cabinet et l’entendement humain, par rapport à tous les objets de la vue, et aux idées qu’ils excitent dans l’esprit. » Essai philosophique sur l’entendement humain , 4 e édition, trad. Coste, 1700, Vrin, 1972, II, 1.

16 Ibid. , II, 11, p. 117.

17 Ernesto G rassi , Reisen ohne anzukommen , trad. it., Viaggiare ed errare, op. cit. , p. 141.

18 « […] Si je ne sais pas comment [nos connaissances proviennent des sens], je croirai qu’aussitôt que des objets font des impressions sur nous, nous avons toutes les idées que nos sensations peuvent renfermer, et je me tromperais. » Traité des sensations , Fayard, 1984, II, 7, p. 114.

19 VI, 1, p. 131.

20 Delphine , dans Œuvres complètes de M me de Staël-Holstein , Firmin Didot et Treuttel-Wurtz, 1838, tome I, VI, suite de la lettre XII (dernier dénouement), p. 621.

21 Corinne , V, 3, p. 118.

22 Ibid. , IV, 3, p. 69.

23 Ibid. , XVI, 4, p. 416.

24 Ibid. IV, 4, p. 91.

25 Ibid. , XVI, 1, p. 404.

26 Dix années d’exil , dans Œuvres complètes de M me de Staël-Holstein , Firmin Didot et Treuttel-Wurtz, 1838, tome II, p. 339. Voir aussi Dix années d’exil , édition critique par Simone B alayé et Mariella V ianello B onifacio , Fayard, 1996.

27 Les Carnets de voyage de M me de Staël , publiés par Simone B alayé , Droz, 1971, p. 53-54.

28 Ibid. , p. 59.

29 Cité par Simone B alayé , ibid. , p. 92.

30 Ibid. , p. 186.

31 Voir Baldine S aint G irons , « Sublime et beau chez Madame de Staël », Cahiers staëliens, mai 1994, p. 3-30. Article repris avec quelques modifications dans Un deuil éclatant du bonheur – Corinne ou L’Italie , Pierre P erchellet (éd.), Paradigme, 1999, p. 107-130.

32 Corinne , p. 1-2.

33 Corinne , XIV, 3, p. 358.

34 Ibid. , p. 364.

35 Ibid. , p. 362.

36 Ibid. , XIX, 4, p. 492.

37 Dix années d’exil , II, 2, p. 370.

38 Delphine , I, lettres XXXVII et XXXVIII, p. 393-394.

39 Corinne , XVII, 9, p. 457.

40 Ibid. , XVII, 6.

41 Delphine , IV, XXXVII, p. 556-557.

42 Dix années d’exil , II, 1, p. 368.

43 Quelques réflexions sur le but moral de Delphine , p. 650.

44 Delphine , V, premier fragment, 7 décembre 1791.

45 Ibid. , V, fragment V, 7 décembre 1791. Sur Marie Stuart, voir p. 620 : la complainte de Marie Stuart, « air écossais de la plus touchante et de la plus noble simplicité », joué par deux instruments à vents. M me de Staël aimait beaucoup la Marie Stuart de Schiller. Corinne chante des romances écossaises à Oswald, VIII, 4, p. 226.

46 Ibid. , I, 10, p. 349.

47 Ibid. , I, 11, p. 352.

48 Jean-Pierre V ernant , Dans l’œil du miroir , Odile Jacob, 1997, p. 31.

49 Corinne , XI, 4, p. 291-292.

50 Je reprends ici la formule de Jean-Pierre V ernant , op. cit. , p. 49.

51 « Absence, exil, voyage », article cité.

52 Lettres de M me de Staël à Benjamin Constant, 60, citée par Simone B alayé dans Madame de Staël, Lumières et liberté , Klincksieck, 1979, p. 216-217.

53 5 mai 1814, citée par Simone Balayé dans sa préface à Dix années d’exil, op. cit. , p. 7.

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L’expérience du voyage : à la découverte des voyageurs- philosophes

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Selon Montaigne , le voyage nous offre le meilleur moyen de “frotter et lismer notre cervelle contre celle d’autruy ” . A la différence du touriste qui consomme du voyage , le véritable voyageur cherche , à travers ce mode d’apprentissage, à redonner une sens profond à son existence. Il importe donc de  distinguer le touriste à la recherche de plaisir ou d’évasion, du voyageur philosophe comme le pélerin autrefois  ou celui qui accomplit un voyage initiatique.  Ces voyages comme celui qu’envisage Sylvain Tesson  dans sa cabane en Sibérie ,deviennent des expériences de constructions identitaires.Tzevan Todorov pense en effet que ” c’est en explorant le monde qu’on va au plus profond de soi “; Ainsi le voyageur -philosophe se met à l’écoute du monde et de lui-même, et en perçoit la beauté ou la richesse dans une perspective esthétique : ce qui peut conduire à un sentiment d’émerveillement  , ou d’effroi s’il est seul en milieu hostile . Historiquement la figure du voyageur philosophe ” homo peregrinus academicus ” est incarnée par Hérodote , historien et explorateur grec. Ce voyageur humaniste est représenté par la pensée de Montaigne pour qui le voyage est une école de la vie .  Il reproche  notamment à ses contemporains de voyager ” “ et il ajoute ” il leur semble être hors de leur élément quand ils sont hors de leur village ”  et “ où qu’ils aillent ils se tiennent à leurs façons et abominent les estrangieres “ A la Renaissance , les marins devient les nouveaux explorateurs  et au siècle des Lumières ,le savant  privilégie les expériences sur le terrain: botanistes, zoologues embarquent à bord des navires pour dessiner le monde rejoignant ainsi l’esprit du projet Encyclopédique. La dimension esthétique rejoint alors l’expérience même de la rencontre : le voyageur admire la beauté des paysages, il admire la Nature sauvage et cherche à vivre en harmonie avec elle, à accorder ses activités au  rythme des saisons , imaginant parfois que c’est au plus loin de la présence humaine que la Nature nous offre sa présence.

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Au final, tous les voyageurs ont éprouvé leur humanité et ont acquis une forme de conscience élargie; Leurs voyages ont modifié durablement leurs représentations du monde et leur être- au monde . Leurs expériences du mysticisme de la Nature notamment peut dissoudre momentanément la conscience d’un moi séparé du monde; ils ne font plus qu’un avec ce qui les entoure comme s’ils étaient la forte, ou la montagne ou le désert . A la fois rencontre de l’Autre et retour sur soi, le voyage pour le voyageur- philosophe dévoile son caractère , développe sa sensibilité et éprouve le Temps, se met à l’écoute de son cœur et de ses instincts, devient… tout simplement . 

Quelques pensées inspirées des récits de Sylvain Tesson

 Où est -il allé ?

Traversée à vélo du désert central en Islande, spéléologie à Bornéo, tour du monde à bicyclette, traversée de l’Himalaya, à pied, ou encore traversée de l’Asie centrale à cheval, pour finir en ermite, reclus dans une cabane au fond de la Sibérie.

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“ Et si la liberté consistait à posséder le temps? Et si le bonheur revenait à disposer de solitude, d’espace et de silence – toutes choses dont manqueront les générations futures?Tant qu’il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu. “

 La Richesse . “ On dispose de tout ce qu’il faut lorsque l’on organise sa vie autour de l’idée de ne rien posséder.”

Moi et les Autres .  “Il est bon de n’avoir pas à alimenter une conversation. D’où vient la difficulté de la vie en société? De cet impératif de trouver toujours quelque chose à dire. “

L’enfer, ce n’est pas les autres, c’est l’obligation de vivre avec eux. Le mieux consiste donc à construire un donjon solitaire avec le ciment de son rêve suffisamment solide pour que le ressac du monde extérieur s’y fracasse. “

Les livres    “… les citations ne sont pas des paravents derrière lesquels se réfugier. Elles sont la formulation d’une pensée qu’on a caressée un jour et que l’on reconnait, exprimée avec bonheur, sous la plume d’un autre. Les citations révèlent l’âme de celui qui les brandit. “

  Le voyageur ” Il est cependant une autre catégorie de nomades. Pour eux, ni tarentelle ni transhumance. Ils ne conduisent pas de troupeaux et n’appartiennent à aucun groupe. Ils se contentent de voyager silencieusement, pour eux-mêmes, parfois en eux-mêmes. On les croise sur les chemins de monde. Ils vont seuls, avec lenteur, sans autre but que celui d’avancer. “

La Nature :  “ S’asseoir devant la fenêtre le thé à la main, laisser infuser les heures, offrir au paysage de décliner ses nuances, ne plus penser à rien et soudain saisir l’idée qui passe, la jeter sur le carnet de notes. Usage de la fenêtre : inviter la beauté à entrer et laisser l’inspiration sortir. “

 “Lorsqu’on quitte un lieu de bivouac, prendre soin de laisser deux choses. Premièrement : rien. Deuxièmement : ses remerciements.” L’essentiel ? Ne pas peser trop à la surface du globe. “

L’ermite  “ En ville, le libéral, le gauchiste, le révolutionnaire et le grand bourgeois paient leur pain, leur essence et leurs taxes. L’ermite, lui, ne demande ni ne donne rien à l’Etat. Il s’enfouit dans les bois, en tire substance. Son retrait constitue un manque à gagner pour le gouvernement. Devenir un manque à gagner devrait constituer l’objectif des révolutionnaires. Un repas de poisson grillé et de myrtilles cueillies dans la forêt est plus anti-étatique qu’une manifestation hérissée de drapeaux noirs.

L’ermite se tient à l’écart, dans un refus poli. Il ressemble au convive qui, d’un geste doux, refuse le plat. Si la société disparaissait, l’ermite poursuivrait sa vie d’ermite. Les révoltés, eux, se trouveraient au chômage technique. L’ermite ne s’oppose pas, il épouse un mode de vie. Il ne dénonce pas un mensonge, il cherche une vérité. Il est physiquement inoffensif et on le tolère comme s’il appartenait à un ordre intermédiaire, une caste médiane entre le barbare et le civilisé.”

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La poésie c’est le mystère ineffable

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, �tant d�sireux du savoir), tu as certainement visit� beaucoup de pays � cause de ton d�sir de voir". Comment la philosophie est n�e dans le cheminement de l'errance d'Ulysse � la m�thode socratique et dans le transfert du lexique du d�placement au champ de la rationalit� tout enti�re, c'est ce que je voudrais tenter de montrer. . La plupart des rituels d'�criture que nous pratiquons sont li�s � l'espace et � l'accom-plissement - aventu-reux ou standardis� - d'un parcours. La marche elle-m�me est devenue un sujet philosophique � succ�s et les trait�s de la marche se multiplient. � partir de l' , de la raison � partir du r�cit l�gendaire, que nous allons �voquer, parce que l'aventure d'Ulysse, l'Odyss�e - qui porte le nom de son h�ros devenu embl�matique - est selon la formule qu'aimait utiliser Jean-Pierre Vernant, un "immense portail" par lequel est pass�e et par lequel passe encore toute la culture de l'Occident. , le mot signifiant le retour qui, compos� avec , la douleur, a donn� nostalgie. La nostalgie est � la fois le manque qu'on ressent du pays d'o� l'on vient et la souffrance due aux �preuves rencontr�es pour y retourner. Mais l'aller d'Ulysse, si on peut dire, est loin en arri�re, loin dans le temps et surtout il re-monte � un ailleurs. Il faut pour le saisir remonter � la guerre de Troie, c'est-�-dire � l'Iliade. Car l'Odyss�e peut sembler faire suite � l'Iliade et en m�me temps d'une certaine mani�re elle la renverse et elle la contredit. Rappelons le point de d�part. H�l�ne, la belle H�l�ne, reine de Sparte, a �t� enlev�e par le prince troyen P�ris, qui l'a emmen�e chez lui. � vrai dire, on ne sait pas trop si elle a �t� r�ellement enlev�e ou si elle n'a pas plut�t �t� s�duite par aussi s�duisant qu'elle, mais peu importe. , bel exemple de mariage plac� sous haute protection pour cause de beaut� dangereuse. , la terre habit�e, la terre des hommes. Qu'est-ce qu'�tre un homme dans ce monde hom�rique ? C'est trois ou quatre choses : manger du pain, boire du vin, faire des sacrifices aux dieux et atteindre un certain de gr� de civilisation et notamment respecter les lois de l'hospitalit�. Le monde dans lequel Ulysse arrive quand il passe le cap Mal�e est exactement le contraire : c'est un monde inhumain, barbare et, au sens litt�ral du terme, monstrueux. C'est un monde fantasmagorique : on y trouve des �tres de nature divine, qui se nourrissent d'ambroisie et de nectar, comme Circ� ou Calypso, des cyclopes, des mangeurs de lotos (les Lotophages), des cannibales comme les Lestrygons, des Sir�nes qui chantent des m�lodies mortelles, des monstres marins comme Charybde et Scylla. Ces noms r�sonnent encore en nous. Ils repr�sentent une incursion dans les confins, une sorte de contre monde n�cessaire � toute pens�e de l'existence humaine. L'humanit� n'est vraiment saisissable que par l'id�e d'une transgression ou par l'exp�rience d'une limite : exp�rience est un mot construit sur le latin experiri, qui lui-m�me contient le grec peras, la limite. , l'absence de passage, la difficult�, l'obstacle. Un verbe voisin, peirao, veut dire essayer, tenter, faire une exp�rience. Traverser, aller d'un bout � l'autre est sans doute en effet la toute premi�re forme de l'exp�rience, et la travers�e r�ussie et donc cr�atrice a pour contraire l'errance. Tous ces termes d�j� pr�sents chez Hom�re se retrouveront, m�tamorphos�s, dans la bouche du Socrate platonicien puis dans toute la philosophie. Le d�placement dans l'espace va servir de mod�le au cheminement vers l'abstraction. Nous savons bien, je l'�voquais en commen�ant, que parcourir un texte est une exp�rience de m�me nature que parcourir le monde. Dans l'aventure d'Ulysse, il y a d'abord, avec l'erran-ce, l'avanc�e dans un chemin (hodos) mais on sait que c'est une propri�t� des routes maritimes de n'�tre pas trac�es d'avance : en mer, le chemin s'invente � chaque fois car le passage dans les flots ne laisse aucune trace. Un navigateur ne suit pas une route mat�riellement trac�e, il la construit au fur et � mesure et elle sera toujours � refaire. Mais dans une seconde phase, le d�-placement odyss�en jouera un r�le de m�diation dans le processus de conceptualisation, hodos le chemin deviendra m�thodos, le chemin qu'on doit suivre, le chemin mod�le, en quelque sorte. La m�thode r�sulte d'une trace laiss�e par les parcours accomplis. , l'�vocation des morts, dans le trajet vers l'Had�s, grand moment de toute cette navigation de l'incertitude. Circ� a dit � Ulysse qu'il n'y a pas besoin de route, de . Elle lui a dit hisse les voiles et les vents te porteront. Faute de route, le vaisseau vogue sans pilote, ce qui est l'�quivalent d'une pens�e sans m�thode. On est ici dans l'extr�me perdition, qui convient bien � un s�jour chez les morts, spectres sans noms et sans visages. Ulysse, qui est d'abord saisi d'horreur devant le magma informe de ce monde souterrain, va s'entretenir avec plusieurs morts illustres et avec quelques grandes figures des Enfers. Il va croiser notamment Achille, qui passe l� la mort glorieuse qu'il a tant d�sir�e, choix qu'il ne confirmerait pas, il le reconna�t, si c'�tait � refaire. Il pr�f�rerait �tre un paysan pauvre d'une contr�e ingrate, mais vivant. Ulysse parle aussi avec le fant�me de sa propre m�re, Anticl�e, qui lui donne des nouvelles de P�n�lope, toujours fid�le, de La�rte, de T�l�maque : aux enfers on est bien inform�. Surtout, il apprend de l'ombre de Tir�sias ce qu'il doit savoir pour faire route vers Ithaque. aura pris compl�tement la place de . L� aussi peut �tre fait le parall�le avec Socrate, qui ne devient plus savant que ses con-temporains, et de fa�on tr�s relative et tr�s r�versible, qu'apr�s avoir compris et int�gr� sa propre ignorance, dont il fait d�claration si souvent qu'elle devient vite un v�ritable leitmotiv. D'ailleurs, la double feinte qui constitue l'ironie socratique - � la fois aveu d'ignorance et acceptation apparente du savoir illusoire que croit d�tenir l'interlocuteur - a tout d'une ruse � la mani�re d'Ulysse. Ce qui va mettre fin � l'errance, c'est de la part d'Ulysse un rebond sur l'adversit�, une ma�trise patiemment construite de la pens�e et de l'action, une premi�re phi-losophie en somme, dont t�moignent d�j� plusieurs �pisodes de l'errance qui sont aussi les plus int�ressants et les plus d�licieux. C'est en pensant � eux qu'Alain peut dire que "les dieux sont des moments de l'homme" et que "cette pens�e est �crite dans les navigations d'Ulysse". La ruse d'Ulysse est la toute premi�re phase de la "dialectique de la raison", la rationalisation de tout d�fi, le moyen rationnel "de se perdre pour mieux se pr�server". au , est celui du s�jour chez Calypso. Le nom m�me de Calypso renvoie � la fois � ce qui cache et � ce qui est cach� : kaluptein, c'est envelopper, couvrir, dissimuler. La d�esse Calypso est � la fois celle qui cache (elle cache Ulysse) et celle qui est cach�e et elle vit toute seule, au bout du monde. Personne ou presque ne la visite jamais. Ulysse va rester l� six ou sept ans. Pendant tout ce temps il m�ne la belle vie. Mais �tre cach� signifie pour lui renoncer au moins pour un certain temps au nostos, au retour, c'est-�-dire renoncer � �tre lui. Il est arriv� seul dans cette �le, qui est un vrai paradis en miniature, rempli des fleurs, de bois, de jardins, de grottes magnifiquement meubl�es, o� Calypso file, chante pour Ulysse et fait l'amour avec lui. Ce s�jour pourrait, dans le voyage terrible qu'est l'Odyss�e, �tre une parenth�se divine, mais il faut croire ce qui est divin ne convient pas aux mortels. Calypso voudrait garder Ulysse et en faire son �poux - et elle ne l�sine pas sur les moyens, dans tous les domaines. Lui au contraire va se lasser d'elle et de ses charmes. Ce qui se passe chaque soir dans leur chambre est r�v�lateur : "elle qui voulait et lui qui ne voulait pas", dit sobrement le texte. a donn� naissance � la m�thode, c'est-�-dire, selon la formule de la R�publique, � "une route d�termin�e". La dialectique va �tre la trans-position � la pens�e du mouvement du monde. , et que je ne cr�e que de l' ". Tous deux se rejoignent dans le charme et dans la s�duction, qui sont peut-�tre deux aspects d'une m�me ruse fondamentale qui consiste � "susciter une m�prise puis � d�-tromper" - je cite l� une formule de Paul Ric�ur. Dans Le Gai Savoir, Nietzsche dit de Socrate qu'il �tait "un charmeur de rats qui faisait sangloter les jeunes gens les plus pleins d'eux-m�mes". Il a �t� "un ma�tre irr�sistible". Il ne lui aurait manqu�, vu sa l�gendaire laideur, qu'une intervention d'Ath�na pour l'embellir � l'occasion, comme elle le faisait pour Ulysse, qui en a eu besoin � certains moments d�cisifs, malgr� son physique avantageux, sa r�putation de s�ducteur n'est plus � faire. Il y a en somme en Ulysse un Socrate des mers et en Socrate un Ulysse de l'agora. L'un et l'autre poss�dent au plus haut point un art du verbe, une passion pour le logos : c'est l'�vidence pour Socrate mais cela vaut pour Ulysse, dont il a �t� dit dans l'Iliade que "sa parole a la densit� et la r�gularit� des flocons de neige en hiver". On ne peut pas ne pas penser �galement � ce qui est a �t� leur apparence commune de pauvre h�re, de mi-s�reux mal v�tu et mal lav�. On se souvient que Socrate errait nu-pieds avec son manteau et sa besace et qu'il s'�tait lav� tout sp�cialement pour assister au Banquet, ce qu'il appelle avec humour "se faire beau (kalos g�g�n�m�nos)", en fait prendre un bain et mettre des san-dales. Quant � Ulysse, il sera dans toute la fin de l'Odyss�e, du chant XIV au chant XXII, le mendiant pitoyable qu'Ath�na a fait de lui. Car Ath�na est une d�esse de la m�tamorphose et la derni�re partie de l'Odyss�e est une �pop�e des apparences, une longue r�v�lation dans la-quelle se v�rifie la conception grecque de la v�rit� : al�th�ia se d�finit comme le d�voilement, le moment o� on ne cache plus. Elle semble toujours na�tre, comme Heidegger l'a souvent rappel�, d'une dissimulation pr�alable, elle est ce qui d'abord nous �chappe. Al�th�ia d�rive, avec un alpha privatif, de lanthano, faire oublier, dissimuler. Le premier signe va �tre qu'Ulysse ne reconna�t pas Ithaque quand il y arrive. Son pays est pris dans une brume, dans une nu�e qu'Ath�na dissipera apr�s avoir expliqu� � Ulysse qu'il doit rester incognito le temps de pr�pa-rer sa vengeance. Ulysse ne refuse pas de mentir, on s'en doute. Il sait bien qu'il ne pourra se d�barrasser de tous ses adversaires qu'en les dupant. C'est l� que mensonge va r�v�ler son utilit� pratique en m�me temps que son lien substantiel avec la v�rit�. Tout le temps o� Ulysse n'est pas reconnu, il peut observer librement. Il voit P�n�lope tisser puis d�faire son ouvrage, les pr�tendants occuper son palais avec arrogance et courtiser son �pouse sans vergogne, les serviteurs se montrer fid�les ou infid�les - on pourrait m�me dire r�sistants ou collabos, si on pense � M�lantho, la servante tra�tresse qui a pris le parti des pr�tendants et s'est compromise avec eux. discriminant. Mine de rien, elle demande � Eurycl�e d'installer pour Ulysse le lit de sa chambre, afin qu'il puisse y dormir car non reconnu encore, il rel�ve du r�-gime de la chambre � part. Et l�, le sang d'Ulysse ne fait qu'un tour : d�placer ce lit est impos-sible, dit-il. Je le sais bien, c'est moi qui l'ai construit. Un de ses pieds est un pied d'olivier enracin� dans le sol. Alors ce lit ne peut pas bouger. On ne peut pas ne pas noter comment le d�racinement d'Ulysse depuis vingt ans contraste avec l'enracinement du lit. En tout cas, voil� enfin le signe, voil� la v�rit� r�v�l�e. P�n�lope tombe dans les bras de son �poux et lui dit ce qu'il voulait tellement entendre et peut-�tre la seule chose au monde qu'il voulait entendre, elle lui dit : tu es Ulysse. Ce n'est pas seulement un nouvel �l�ment de sc�nario hollywoodien, c'est l'expression la plus parfaite, peut-�tre, de la condition des hommes : chacun de nous a au fond de lui-m�me quelque chose qu'il voudrait tant qu'on lui dise � qu'un tel retour n'est jamais totalement accompli. Laissant de c�t� la fin de l'Odyss�e, imagine Ulysse une fois qu'il aura repris sa vie de tous les jours avec P�n�lope. Il est � table, le regard absent, il est r�veur et sans app�tit. � quoi peut-il bien penser ? Eh bien, "� Calypso la toute divine, � Circ� l'enchanteresse, � Nausicaa la si gracieuse, � toutes les princesses lointaines qu'il a laiss�es sur sa route" car, dit en-core Jank�l�vitch, dans la vie des hommes "tout est futur m�me le pass�". Et, en effet, un nouvel �loignement, un nouveau voyage pourrait venir dire que ce retour n'�tait en v�rit� qu'une sorte de r�mission, car le mal du retour n'a jamais de fin. Le d�sir du retour une fois satisfait am�ne la d�ception, comme tout d�sir satisfait. Et c'est ce qui donnera sa force � un autre d�sir et � un nouvel app�tit d'exil. Ce qui restera � jamais des aventures d'Ulysse, c'est justement cette tension, qui fait tout le prix du voyage, entre l'�loignement et le retour puis entre le retour et un autre �loignement car "on ne peut revenir � soi sans avoir commenc� par se porter ailleurs" et vice-versa. Et cette travers�e toujours � recommencer, c'est bien en un sens ce que nous appelons la philosophie : en allant sur les traces d'Ulysse, le philosophe remonte vers une "dimension oubli�e" et il avance sur "le chemin de sa provenance", parce que la philosophie tout enti�re est une nostalgie - une nostalgie de la v�rit�. Pour �difier ses concepts, elle "s'alimente [aux] activit�s cr�atrices et existentielles de l'humanit� [�] qui ont une r�sonance universelle", et donc � la po�sie hom�rique. Car philosopher, c'est d'abord d�couvrir l'universel dans la singularit� du monde.


Le voyage est-il à la fois une ouverture sur le monde et une découverte de nous-même?  Réflexion sur le thème du voyage

  • Le 01/02/2018
  • Dans Dissertations EAF
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DNBAC

"on voyage non pas pour changer de lieu mais pour changer d'idées", Hippolyte Faine

Devoir proposé par Manon Sujet :

Le voyage est-il à la fois une ouverture sur le monde et une découverte de nous-même?  

Lecture du devoir  «On voyage non pas pour changer de lieu, mais pour changer d'idées.» Hippolyte Faine Comme nous l'explique Hippolyte Faine à travers cette citation, le voyage sert avant tout à changer notre point de vue, et donc pas conséquent d'idées. Nous rejoignons alors le discours tenu par Lévi-Strauss dans l'incipit de Tristes Tropiques, qui est un livre de l'ethnographe, publié en 1955, où sont mêlés souvenirs de voyage et méditations philosophiques. Ainsi un voyage peut avoir plusieurs fonctions, il peut en effet avoir pour but de divertir, de faire réfléchir, mais un voyage aura toujours pour conséquence de changer l'individu. Un voyage peut s'effectuer physiquement, l'individu faisant réellement une excursion dans un pays étranger ou simplement dans une région voisine, mais il peut également s'effectuer par le biais de l'imaginaire lors de la lecture d'un roman d'aventures. L'individu en ayant fait l'expérience du voyage réel ou virtuel s'en trouve changé, en bien ou en mal suivant l'impact et la résonance que cela a eu sur lui-même. Ainsi un voyage semble être un moyen de récolter de nouvelles connaissances. Nous pourrons nous demander en quoi le voyage, vécu par nous-même ou vécu à travers un récit d'exploration, peut avoir un effet d'ouverture sur le monde, et de voyage initiatique sur nous-même. Afin de répondre à ce questionnement nous étudierons tout d'abord le voyage comme expédition, puis comme voyage intérieur. Tout d'abord, nous pouvons rappeler que selon Claude Lévi-Strauss, le voyage n'est donc pas un but, mais le moyen par lequel nous pouvons recueillir des connaissances, et permettre des avancées dans le domaine des sciences humaines. Ainsi il apparaît que le voyage n'est pas à prendre au même sens ou nous l'entendons aujourd'hui, c'est-à-dire comme voyage touristique et de vacances, mais bien comme voyage de recherche, dans le but de récolter des informations et donc élargir un savoir. En effet un voyage peut alors procurer le moyen à l'individu d'effectuer des recherches sur un phénomène bien particulier, ou de lui permettre d'aller travailler sur un projet, par exemple:les archéologues sachant que des pyramides étaient présentes en Égypte, ont alors fait un voyage, qui leur a permis de faire des fouilles et par conséquent de ramener de nouvelles connaissances. En réalité le voyage apparaît alors comme un maillon essentiel de la chaîne permettant d' accéder au savoir.  Mais le voyage est également synonyme de rencontre puisque l'individu évolue alors dans un lieu qui lui est étranger. Le voyage, apporte des connaissances scientifiques, mais donne également une autre vision du monde à travers sa rencontre avec autrui. Par conséquent l'individu doit alors avoir une ouverture d'esprit assez large afin de ne pas tomber dans l'ethnocentrisme et repousser autrui et la culture dans laquelle il vit. Ainsi comme nous pouvons le voir dans le texte de Diderot, le chef tahitien met bien en avant ce phénomène d'ethnocentrisme qui empêche les voyageurs de découvrir le vrai savoir. En effet dans ce texte, Diderot met en avant que le navigateur, obnubilé par sa propre culture qu'il considérait comme la seule possible et qu'il fallait imposer à ce peuple « d'ignorants », n'a pas su découvrir la beauté d'un peuple plus sain, plus conscient des réels besoins de la vie. Jacques Lacarrière explique de manière très complète l'attitude adéquate d'un voyageur au sein d'une nouvelle culture expliquant qu'il faut alors s'immerger dans la culture d'accueil, et par conséquent mettre de côté sa propre culture. Il apparaît alors de manière évidente que le voyage effectué physiquement à un double effet sur l'individu puisqu'il connaît un changement tant humainement parlant que d'un point de vue scientifique. Ainsi le voyageur reviendra changé, et avec un œil nouveau sur le monde, de la même manière qu'un enfant après avoir parcouru une bande-dessinée d'aventure. Dans un second temps, nous pouvons rappeler qu'à l'instar d'Emma Bovary, il est possible pour un lecteur de voyager à travers un roman. Mais le bénéfice est-il le même? Un lecteur peut-il avoir un nouvel éclairage du monde suite à une lecture? Et bien il semble que oui. Ainsi le lecteur, à l'aide de descriptions et d'un travail d'écriture minutieux, peut se projeter dans l'histoire et ainsi voyager à travers sa lecture. Prenons par exemple Voyage au centre de la Terre, nous découvrons que Jules Verne, de par son écriture à su plonger son lecteur de manière à ce que ce dernier ait l'impression d'être au cœur de l'histoire, qu'il puisse se représenter le voyage comme s'il le faisait réellement, comme s'il était lui-même en train de faire le voyage. Ainsi il apparaît que le voyage peut également avoir pour effet de transporter le lecteur hors de l'espace-temps dans lequel il se trouve. Ne nous est-il jamais arrivé de finir un roman d'une traite, sans même se rendre compte du temps que cela nous a pris ? De même qu'un voyage touristique, la lecture transporte l'individu, lui faisant oublier le cadre spatio-temporel dans lequel il a pour l'habitude d'évoluer. Le voyage par la lecture est donc également un moyen pour le lecteur d'avoir une ouverture sur le monde. En effet la lecture d'un roman d'aventure ou bien encore un roman de réflexion tel que Candide de Voltaire permet au lecteur de découvrir à partir d'une satire, une autre vision du monde qui leur est inconnue. Ainsi dans ce genre romanesque, le lecteur est indubitablement confronté à une remise en question quant au monde, ou à la société. Par conséquent le lecteur peut voyager à travers les lignes écrites par l'auteur en découvrant de nouvelles cultures, de nouveaux peuples et paysages, que l'auteur lui-même aura peut-être découvert par un réel voyage ou aura lui-même imaginé, comme Thomas More l'a fait dans son œuvre Utopia. Le lecteur, sans même être sorti de son fauteuil, peut alors voyager à travers ses pensées et être amené à se former une nouvelle opinion quant au sujet étudié dans l’œuvre lue.  Pour conclure, nous avons traité le thème du voyage tant comme moyen de parvenir à la récolte de nouveaux savoirs, que par l'ouverture au monde que cela peut apporter à l'individu mais également au lecteur qui voyage alors à travers les lignes. Ainsi il apparaît que le voyage par la lecture est un bon moyen d'élargir sa vision du monde, sa compréhension mais également d'émettre une critique. A l'instar d'Emma Bovary, il est possible d'être entièrement absorbé par nos lectures, et de ne plus avoir suffisamment de recul face aux lectures. Le voyage par la lecture est-il donc toujours bénéfique, si l'on omet qu'il puisse prendre l'aspect d'un voyage initiatique ?  

Pour aller plus loin 

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Voyager encore ? Le monde délivré du tourisme

Peut-on encore voyager ? Dans son ouvrage « La vie est ici – voyager encore ? » Rodolphe Christin propose une réflexion parti­cu­liè­re­ment d’actualité sur la ques­tion du voyage en lui-même et de ses possi­bi­lités dans le monde d’aujourd’hui.

  • Catégories Voyager autrement
  • Date de l’article 10 avril 2020
  • 8 commentaires sur Voyager encore ? Le monde délivré du tourisme

Voyager encore ? Le monde délivré du tourisme

Peut-on encore voyager ? Alors que les voyages se faisaient de plus en plus fréquents, de plus en plus loin­tains, la crise du coro­na­virus marque un arrêt et remet en cause nos compor­te­ments. Pour chaque voya­geur en puis­sance désor­mais assigné à rési­dence, le confi­ne­ment actuel est un temps de réflexion. Faut-il revoir notre manière de voyager ? Dans son dernier ouvrage, La vie est ici – voyager encore ?, Rodolphe Christin propose une réflexion parti­cu­liè­re­ment d’actualité sur la ques­tion du voyage en lui-même et de ses possi­bi­lités dans le monde d’aujourd’hui.

Pour­quoi voyager ? Pour Rodolphe Christin, parce que voyager est «  une manière géogra­phique de vouloir véri­fier les possi­bi­lités qu’existent d’autres mondes, ailleurs . Le voyage est un acte de l’esprit, une certaine expé­rience du monde que les infra­struc­tures touris­tiques mettent à mal et qu’il convien­drait cepen­dant de sauver ».

Dans son manuel d’anti-tourisme, le socio­logue décri­vait en 2008  le loisir touris­tique comme un anti-voyage  qui trans­forme le monde en parc d’attraction. Dans  La vie est ici – voyager encore ? , il prolonge la réflexion et tente de répondre à cette ques­tion : pour­quoi voyage-t-on ?

À l’heure où les voya­geurs sont devenus « les héros d’une quête perdue d’avance, banale et insensée à force de toujours cher­cher l’ailleurs […] l’altérité radi­cale, fonda­men­ta­le­ment, est à présent une desti­na­tion inat­tei­gnable. » Aujourd’hui, «  la distance inté­rieure que l’on prend avec soi compte davan­tage  et fina­le­ment l’emporte. »

Dans ces condi­tions, pour­quoi ne pas  aller cher­cher l’exotisme moins loin  et  partir à la rencontre de la diver­sité  qui nous entoure déjà ? Auteur d’un voyage exotique en France, j’avais envie d’en savoir plus.

Pourquoi voyager ? Délivrer le monde du tourisme

Rodolphe, tu es un ancien passionné de voyages. Au-delà du confinement actuel, tu ne voyages plus ? As-tu perdu l’envie de voyager ? Pourquoi ?

Le temps passe, le monde change, et c’est une ques­tion à laquelle j’ai toujours du mal à répondre. Je suis partagé entre dire que je ne voyage plus, ou dire que je voyage désor­mais partout.  Je ne suis plus du tout sensible aux charmes de l’enchantement touristique.

Par ailleurs les occa­sions de colporter mes idées me permettent de me déplacer et de rencon­trer des gens. J’ai quelques terri­toires de prédi­lec­tion, des forêts et des montagnes pour la plupart, auprès desquels je reviens régu­liè­re­ment. J’ai eu  l’occasion par le passé de réaliser quelques voyages aven­tu­reux , mais  aujourd’hui d’autres choses m’intéressent , je cherche d’autres significations.

Dans un monde comme le nôtre,  l’aventure exige quand même trop de mises en scène  et d’artifices. Disons qu’un gamin de la campagne qui découvre la cité d’une banlieue, ou un gamin des cités immergé à la campagne, me semblent des manières fruc­tueuses de voyager. De la même manière immerger des fonc­tion­naires dans la vie d’une entre­prise, et immerger des sala­riés du secteur privé dans le fonc­tion­ne­ment d’un service public me semble­rait des sortes de voyages intelligents.

Pourquoi voyager ?

Tu dis dans ton  manuel de l’anti-tourisme  : « Si le voyage est philosophie, le tourisme est économie ». N’est-ce pas une vision romantique, un peu XIXe siècle, de la notion de voyage ? Peut-on encore faire une différence entre le tourisme et le voyage ?

Cette ques­tion est celle que j’aborde dans mon dernier livre :  La vraie vie est ici  (Ecoso­ciété, 2020) …  Revenir à la philo­so­phie du voyage est une ques­tion essen­tielle , parfai­te­ment d’actualité. Cela revient d’une part à travailler la ques­tion du sens :  pour­quoi voyage-t-on ?

Et d’autre part à cher­cher à comprendre :  de quoi le tourisme est-il la conso­la­tion ?  Fausse conso­la­tion car en réalité le tourisme ne procure aucune évasion ; il nous enferme dans d’autres orga­ni­sa­tions que celles qui président à nos vies profes­sion­nelles, et nous main­tient dans le bain de la marchan­dise et de la consommation.

À lire aussi :    N’oubliez pas de vous perdre en voyage

En quoi cette marchandisation du monde rend le voyage de plus en plus difficile ?

Le tourisme est une manière d’organiser les loisirs  et d’y répondre en propo­sant des infra­struc­tures, des lieux, des acti­vités qui toutes ont un prix et qui main­tiennent la clien­tèle dans le réseau des échanges marchands.

En insti­tu­tion­na­li­sant le voyage d’agrément, en faisant de lui un produit comme un autre,  la bana­li­sa­tion du voyage est au bout de la route  alors que toute expé­rience excep­tion­nelle est par défi­ni­tion rare et extra-ordi­naire, au sens premier du terme.

Le voyage est une rupture , en tant que tel il est incom­pa­tible avec la stan­dar­di­sa­tion qu’opère l’industrialisation touris­tique. Dans un monde touris­tifié, l’immersion au cœur de la réalité d’autrui s’avère problé­ma­tique car le tourisme a créé ses propres circuits et ses propres réalités, paral­lèles à la vie des sociétés d’accueil. Cela dit, l’immersion dans d’autres manières de vivre n’est plus vrai­ment une moti­va­tion touristique.

Pourquoi voyager ?

Tu dis « Je préfère souligner l’importance du tourisme dans le désastre écologique et sociétal plutôt que proposer une nouvelle manière de voyager qui sera aussitôt enrôlée par le tourisme. » Face à un tourisme prédateur, le tourisme éthique ou durable ne sont-ils pas un moindre mal et une solution faute de mieux ?

Le tourisme est une tota­lité qui se nourrit de toutes les formes de tourisme. Il n’y a pas d’un côté le tourisme de masse et de l’autre un tourisme vertueux.  Tous les tourismes contri­buent au tourisme de masse  et versent leurs flux de clients dans la somme globale des touristes qui fréquentent le monde touristique.

Autre­ment dit, plus les opéra­teurs déve­loppent des voyages dans des endroits encore peu fréquentés et des sociétés « préser­vées », plus ils parti­cipent à l’expansion du tourisme, partout, et moins des endroits du monde restent à l’écart, préservés. Tel est le para­doxe de la bana­li­sa­tion du monde par le tourisme.

De plus  le tourisme est une forme d’hypermobilité  et notez bien que les dépla­ce­ments reposent sur l’usage de l’avion, ou plus géné­ra­le­ment sur des moteurs consom­mant des dérivés du pétrole. Cela suppose maintes infra­struc­tures pour leur fonc­tion­ne­ment, lesquelles contri­buent au  désastre écolo­gique  que nous connais­sons. Donc  on ne résoudra pas les problèmes avec le tourisme éthique ou durable.

Cela a pu, il y a quelques décen­nies, paraitre un moyen de contri­buer au déve­lop­pe­ment des pays pauvres. Nous avons suffi­sam­ment de recul pour dire que le tourisme n’a pas éradiqué la misère et, je me répète, l’économie touris­tique, ultra dépen­dante, est fragile.  Le tourisme éthique est au mieux un pis-aller, c’est tout.  Au fait, en quoi consiste le tourisme durable ? A trier les serviettes utili­sées des autres ? Ne soyons pas naïfs, tout cela est surtout une manière, tant pour les opéra­teurs que pour leurs clients, au mieux de se donner bonne conscience, au pire de conti­nuer comme si de rien n’était.

À lire aussi :   Comment voyager plus léger (pour la planète) ?

2017, une année de voyage en photos

Sur France culture, Maria Gravari-Barbas présentait le tourisme durable comme une manière de « compenser les méfaits du tourisme qu’il faut prendre en compte parce qu’il faut analyser et prendre en compte tout ce que nous pouvons faire.” Pourquoi n’es-tu pas d’accord ?

Si tout le monde prenait l’avion pour des séjours soi-disant durables, nous verrions bien ce que cela donne­rait.  Le tourisme durable, c’est beau­coup moins de tourisme.  Il faut orga­niser la décrois­sance du tourisme, ce qui s’inscrit dans un projet poli­tique global de sortie de la société de consommation/production.

Le tourisme est un produit phare du capi­ta­lisme, qui agite  tous les fantasmes de la moder­nité  ; un pur produit du capi­ta­lisme libi­dinal, fondé sur l’exploitation des pulsions, pour parler comme le philo­sophe Dany-Robert Dufour.

À lire aussi :   Avion et climat : faut-il choisir ?

Elle poursuivait en mettant l’accent sur notre capacité « d’imaginer des destinations alternatives » et de « travailler sur ces destinations qui souffrent d’un tourisme excessif.” Que réponds-tu à cela ?

La réponse me semble tout à fait simple, voire enfan­tine et basée sur le bon sens :  ceux qui ont les moyens de voyager pour le plaisir repré­sentent une mino­rité  – crois­sante certes – de la popu­la­tion mondiale, mais cette mino­rité est érigée en modèle et chaque pays mène des opéra­tions de séduc­tion pour l’attirer, grâce au marke­ting et à l’ingénierie territoriale.

La réponse est qu’il faut cesser d’occuper le temps libre par des pratiques touris­tiques , qui détruisent l’environnement et altèrent les sociétés d’accueil. Les problèmes de surfré­quen­ta­tion touris­tique cesse­ront aussitôt. On peut espérer que la crise du Covid 19, qui est aussi une crise de la mobi­lité, remette les pendules à l’heure, mais cela n’est pas certain malheureusement.

Est-ce que le problème n’est pas tout simplement de faire du voyage un business ? Auquel cas la notion même de tourisme devient condamnable…

Le tourisme est une acti­vité criti­quable au regard des enjeux envi­ron­ne­men­taux et socié­taux que nous connais­sons.  Le tourisme est une indus­trie comme toutes les autres , une manière d’exploiter les ressources et de vendre le monde qui s’inscrit dans une recherche du profit érigée en dogme incontournable.

Certains socio­logues d’arrière-garde conti­nuent de penser que le tourisme s’oppose au monde du travail et de la produc­tion, alors que  le tourisme a colo­nisé le temps libre du travailleur  pour surtout qu’il reste bien dans le giron de la société de consom­ma­tion et de production.

Si l’on voit plus loin, nous consta­tons que  le tourisme est à l’avant-garde de l’anthropocène , cette ère dont les théo­ri­ciens disent qu’elle est carac­té­risée par une influence humaine de portée cosmo­lo­gique. Le tourisme va partout, il s’apprête même à conquérir l’espace. Or, c’est de cette époque incon­ti­nente qu’émergent des désastres imprévus, virus, boule­ver­se­ments météo­ro­lo­giques, plas­ti­fi­ca­tion de la planète, pollu­tion de l’air et des eaux, ruine de la bio/anthropodiversité…

voyager dissertation philosophie

Selon toi, quelles conséquences la crise actuelle aura-t-elle sur le tourisme tel qu’il existe aujourd’hui ?

Il est encore trop tôt pour le dire. Il faudrait que cette crise soit l’occasion d’une prise de conscience. Mais il se pour­rait malheu­reu­se­ment qu’elle ne soit qu’une paren­thèse : le monde pour­rait reprendre sa course de plus belle jusqu’à la prochaine…  Cette crise révèle pour­tant la grande fragi­lité de l’économie touris­tique  : en quelques jours tout s’est arrêté ! L’OMT, avec ses pers­pec­tives de crois­sance, n’avait pas prévu cela.

De tels aléas seront de plus en plus fréquents à l’avenir. Miser sur le tourisme pour sauver les terri­toires est une hérésie d’arrière-garde. Assurer la « tran­si­tion », orga­niser la « rési­lience », pour utiliser des mots à la mode, reviendra à quitter l’économie touris­tique, et plus globa­le­ment l’économie du profit pour le profit, pour  revenir aux fonda­men­taux de la subsis­tance et du bien-vivre en commun .

Pourquoi voyager ? Délivrer le monde du tourisme

Tu parles de l’or du voyage. À quoi ressemblerait pour toi le voyage idéal ?

Le voyage dans un monde délivré du tourisme.  En atten­dant il faut  trouver les inter­stices . Le voyage comme rela­tion régé­nérée avec l’ensemble du vivant, c’est-à-dire comme « philo­so­phie de la Rela­tion », pour reprendre le titre d’un livre de l’écrivain, poète et philo­sophe Edouard Glissant.

Y a‑t-il des voyageurs qui t’inspirent aujourd’hui ? Ou qui incarneraient le voyage idéal ?

Nicolas Bouvier , mais il appar­tient au passé.

Joël Vernet , pour ses expé­di­tions poétiques et la clarté de son œuvre litté­raire, bien loin du tapage et des mises en scène.

Le prochain voyage, ce sera où ?

Dans mon prochain livre probablement.

La vraie vie est ici - Voyager encore ? Rodolphe Christin

Son dernier,  La vie est ici, voyager encore ?  S’adresse aux touristes comme aux voya­geurs qui se recon­naî­tront dans les travers, les fantasmes, les malaises et les aspi­ra­tions du voyage décrits par l’auteur.

Rodolphe Christin prône  un retour au réel  comme on revient à la raison, pour  imaginer les voies de sortie des impasses de la consom­ma­tion et du mana­ge­ment du monde . Parce que « l’ailleurs n’a nul besoin d’artifices et de schémas touris­tiques pré-établis. […] Désor­mais il reste à renverser l’ordre des choses, sortir de l’enchantement grâce au voyage de retour : non pas en recou­rant au grand départ vers des contrées sidé­rales et sidé­rantes, mais en retour­nant au Réel. »

“C’est ici que nous devons faire front contre l’invivabilité crois­sante du monde.”

Un message parti­cu­liè­re­ment d’actualité.

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Le livre d’un voyage exotique en France

Peut-on faire un voyage exotique dans son propre pays ? Pour y répondre, j’ai traversé la France à pied à travers la diago­nale du vide.

Commentaires

Je vois beau­coup d’ar­ticle fleurir sur le voyage et le covid mais j’aime beau­coup le ton de celui-là. Merci pour cette décou­verte et ces mots

Merci Romane 🙂 Proba­ble­ment parce que l’ar­ticle était prévu de longue date et que je n’ai fait que remettre les réflexions de Rodolphe Christin dans le contexte actuel (ça résonne parti­cu­liè­re­ment juste dans ce moment parti­cu­lier, non ?)

C’est un sujet (et une inter­view) très intéressant(e). Merci ! C’est vrai que remettre les pendules à l’heure et diffé­ren­cier le tourisme du voyage est une chose. J’aime beau­coup la phrase qui fait le paral­lèle entre tourisme & pulsion ; et c’est vrai qu’on ne peut pas le nier : le tourisme est un plaisir égoïste. Pour­tant j’ai envie de croire (égoïs­te­ment ?) que nous pouvons conti­nuer de voyage dans une moindre mesure, diffé­rem­ment, sans courir, sans vouloir tout voir. Je m’épar­pille déjà dans mes propres réflexions 🙂 À l’heure actuelle, je suis triste de me rendre compte à quel point le voyage est devenu un produit de consom­ma­tion au même stade qu’un habit ou une nouvelle voiture. Un bien qu’on arbore fière­ment auprès de nos connais­sances. Toujours dans cette vision de compa­raison. Qui aura fait le plus etc. Je me souviens au tout début de mon blog, plusieurs gens (du secteur touris­tique !) m’avaient fait une réflexion parce qu’à l’époque je n’avais ni pris l’avion, ni visité d’autres pays que ceux fron­ta­liers à la France et qu’ils m’avaient limite ri au nez, parce que « non quand même être une blogueuse voyage et n’être allée qu’en Uk, Italie et Espagne .. quand même c’est drôle quoi » .. C’est une époque étrange en tout cas, qui n’a pas fini de nous inter­roger (même si clai­re­ment nombreux sont ceux à s’en foutre) . Je suis sur ma réserve quand tout « rentrera dans l’ordre » (si c’est le cas bien sûr), je suis à tendance pessi­miste et je préfère me préparer au pire pour ne pas être déçue. Je pense que l’hu­main n’est pas prêt malheu­reu­se­ment à renoncer à son confort, ses habi­tudes et .. ses pulsions ! Pas tous heureu­se­ment, mais cette partie là fera-t-elle le poids ?

Coucou Amélie ! Quoi tu n’as jamais pris l’avion ? Quand même en tant que blogueuse voyage… 😉 Faut pas être triste. L’im­por­tant c’est de se sentir en accord avec ses valeurs. Perso je ne prévois pas de m’ar­rêter de voyager mais ça fait un moment que je fais la diffé­rence entre les voyages aven­tu­reux où je me laisse aller aux hasards de la route et les voyages touris­tiques où je viens clai­re­ment consommer de la pres­ta­tion. J’ap­précie de voir la diffé­rence formulée de manière claire et honnête. J’ai­me­rais essayer de mon côté de proposer un entre deux avec des voyages qui mettent en avant la rencontre avant tout dans des endroits à la fois peu connus et dépay­sants. C’était le chal­lenge 2020, on va peut-être remettre ça à 2021… Bon confi­ne­ment et profite bien des grands espaces d’Amé­rique du nord quand il sera de nouveau temps !

Ok, chouette. Mais donc, on arrête aussi les congés payés ? Si non, je pour­rais encore faire ce que je veux de mon temps libre ?

Voilà, on arrête tout, on s’en­ferme chez soi et on attend la fin en regar­dant les feux de l’amour ! Libre à chacun de faire ce dont il a envie, à commencer par avoir un avis critique. Ce que dit Rodolphe Christin n’est pas « arrêtez de voyager », mais « voilà pour­quoi j’ar­rête de voyager ». On peut trouver ses raisons valables ou non. De la même manière qu’on peut trouver valable le point de vue des vegans et conti­nuer à manger de la viande. À chacun de faire sa petite cuisine intérieure.

Merci pour ton article. .Pour qu il y ait du chan­ge­ment il faut une vrai prise de conscience et une volonté de se remettre en cause. Comme pour le chan­ge­ment clima­tique. Beau­coup de gens s inquiètent voire se plaignent du réchauf­fe­ment clima­tique mais sont pas prêt à changer leurs habi­tudes pour autant car elles sont trop atta­chees à leur confort. Je retient parti­cu­liè­re­ment ce qu il dit sur le tourisme durable : « Le tourisme durable, c’est beau­coup moins de tourisme ». Comment peut on être vrai­ment durable dans une société où tout nous pousse à la consommation ?

[…] promou­voir le tourisme, alors qu’au fond de moi, je crois en l’effondrement et à une décrois­sance impé­ra­tive, y compris dans le domaine du […]

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Dissertation sur l'intérêt du voyage

Résumé du document.

Sujet : Rousseau écrit : « il ne faut pas lire, il faut voir ». Vous réfléchirez à cette injonction en vous interrogeant sur l'intérêt et les limites du voyage. Vous vous appuierez sur vos lectures et expériences personnelles. NB : La dissertation s'organise autour de trois parties ; la troisième étant plus personnelle, et par un soucis de longueur du devoir, il est possible de ne pas en tenir compte.

[...] Dans tous les cas, la plus grande limite du voyage est le voyageur lui-même. En effet, d'un homme à l'autre les critères d'appréciations peuvent diverger radicalement. Le voyage ne sera apprécié qu'à l'aune de l'intelligence et de la sensibilité du voyageur. Rousseau se trompe en estimant qu'«il ne faut pas lire Son injonction me parait trop catégorique pour être valable. La lecture propose des intérêts non négligeables, dont il est bon de profiter. Voir à travers les yeux d'un autre permet de jouir de l'expérience et des connaissances de l'observateur, d'analyser un point de vue que l'on partage ou non. [...]

[...] Ainsi, si le voyage propose un très grand intérêt, il connaît aussi ses limites. Nous indiquons qu'au XVIIè siècle l'emploi du mot voiage pour désigner tant le déplacement que son récit suggère des relations étroites entre l'expérience vécue et l'écriture. Lire et voir ne s‘opposent pas, ils se complètent. Le voyage, pour trouver sa raison d'être, a besoin de la lecture. [...]

[...] Dissertation Sujet : Rousseau écrit : il ne faut pas lire, il faut voir Vous réfléchirez à cette injonction en vous interrogeant sur l'intérêt et les limites du voyage. Vous vous appuierez sur les textes du corpus, sur vos lectures et expériences personnelles. Depuis l'humanisme, qui est apparu en France au début du XVIè siècle, le voyage a pris une dimension nouvelle de grande importance. Il permet aux élites de partir à la rencontre d'une autre réalité et de découvrir une culture différente. [...]

[...] La prestation était excellente. Pourtant, peu de choses m'ont signifié que je me trouvais dans un pays étranger. Nous n'étions que des Occidentaux protégés dans une bulle qui nous coupait de la réalité. Il n'y avait que la mer, le soleil et les palmiers pour donner une vague idée du lieu Le jour où on inventera un paradis artificiel, ressentirai-je le besoin de partir si loin ? De cette expérience, ainsi que de quelques autres, j'en conclue qu'une des principales limites du voyage est qu'il n'est plus toujours digne d'en porter le nom. [...]

[...] Ils partagent leur vécue dans le but de transmettre au liseur un véritable voyage virtuel. Lecture, ou rêve? De plus, il n'est pas donné de voir ce qui n'est plus. La lecture a cet immense avantage sur l'œil humain de perdurer à travers les générations et de nous offrir un monde passé que nous n'aurions pas connu sans elle. Le voir est l'objet d'un instant. Le lire ne disparaîtra qu'à la fin des temps. En combattant l'ignorance, elle permet au voyageur de connaître la culture d'un pays et de lui donner une idée plus ou moins précise de l'endroit en question. [...]

  • Nombre de pages 5 pages
  • Langue français
  • Format .rtf
  • Date de publication 14/04/2005
  • Consulté 43 fois
  • Date de mise à jour 14/04/2005

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Exemple de dissertation de philosophie

Publié le 26 novembre 2018 par Justine Debret . Mis à jour le 7 décembre 2020.

Voici des exemples complets pour une bonne dissertation de philosophie (niveau Bac).

Vous pouvez les utiliser pour étudier la structure du plan d’une dissertation de philosophie , ainsi que la méthode utilisée.

Conseil Avant de rendre votre dissertation de philosophie,  relisez et corrigez  les fautes. Elles comptent dans votre note finale.

Table des matières

Exemple de dissertation de philosophie sur le travail (1), exemple de dissertation de philosophie sur le concept de liberté (2), exemple de dissertation de philosophie sur l’art (3).

Sujet de la dissertation   de philosophie  : « Le travail n’est-il qu’une contrainte ? ».

Il s’agit d’une dissertation de philosophie qui porte sur le concept de « travail » et qui le questionne avec la problématique « est-ce que l’Homme est contraint ou obligé de travailler ? ».

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Sujet de la dissertation   de philosophie  : « Etre libre, est-ce faire ce que l’on veut ? ».

Cette dissertation de philosophie sur la liberté interroge la nature de l’Homme. La problématique de la dissertation est « l’’Homme est-il un être libre capable de faire des choix rationnels ou est-il esclave de lui-même et de ses désirs ? ».

Sujet de la dissertation   de philosophie  : « En quoi peut-on dire que l’objet ordinaire diffère de l’oeuvre d’art ? ».

Cette dissertation sur l’art et la technique se demande si  l’on peut désigner la création artistique comme l’autre de la production technique ou si ces deux mécanismes se distinguent ?

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Debret, J. (2020, 07 décembre). Exemple de dissertation de philosophie. Scribbr. Consulté le 21 août 2024, de https://www.scribbr.fr/dissertation-fr/exemple-dissertation-philosophie/

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Justine Debret

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Dissertation sur le voyage

Publié le 06/02/2022

Extrait du document

« Le voyage désigne l’action de voyager, de se rendre ou d'être transporté en un autre lieu. Les voyages sont généralement effectués pendant les périodes de vacances et sont donc très attendus car plutôt rares. Ils ne sont pas forcément physiques, ils peuvent également être mentaux. Cependant, certains voyages sont parfois nécessaires, bien qu’involontaires, ce qui peut les transformer en expérience négative. Nous pouvons donc nous demander si le voyage constitue toujours une expérience positive et enrichissante. Dans un premier temps, nous verrons que le voyage peut être une expérience positive et enrichissante. Puis, nous démontrerons que, dans certains cas, le voyage peut constituer une expérience négative. Dans la plupart des cas, le voyage est une expérience positive et enrichissante. En effet, les nouvelles technologies permettent des expériences de voyage toujours plus agréables. Avec des moyens de transport innovants, des voyages uniques voient le jour, comme un voyage autour de la Terre, un voyage dans les profondeurs de l’océan… Ces expériences sont très enrichissantes pour les quelques individus ayant les moyens d’y participer. D’autre part, les voyages sont plutôt rares pour une partie de la population.

De ce fait, l’expérience est d’autant plus appréciable, et les souvenirs d’autant plus précieux. Cette constatation est encore plus vraie de nos jours avec les restrictions de voyages dues à la pandémie de COVID-19. Enfin, les voyages sont parfois les plus positifs et enrichissants lorsqu’ils sont spontanés. Par exemple, dans l’émission télévisée « J’irai dormir chez vous », Antoine de Maximy part dans différents pays sans vraiment préparer son voyage. Comme le nom de l’émission l’indique, Antoine ne prépare pas d’hôtel, mais demande aux habitants de le loger gratuitement. Pour autant, à chaque fois, c’est une expérience très enrichissante humainement parlant, car il fait des rencontres inoubliables avec des gens d’une grande hospitalité et générosité. Il arrive à créer des liens avec des personnes qu’il n’avait jamais rencontrées auparavant, sans forcément parler leur langue. D’autre part, Philippe Gougler, dans l’émission « Des trains pas comme les autres », voyage tout le temps à bord d’un train. Ils sont parfois mythiques (le transsibérien en Russie) ou insolites (trains construits avec des motos en Colombie). Bien que ses. »

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  4. L'art de voyager selon Montaigne

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  5. "Peut-on voyager en restant immobile ?"

    Pour ceux qui ont la chance d'avoir des vacances, voyager consiste à partir et revenir. Nous avons tous un repaire, un "chez nous". Nous ne voyageons pas au sens d'errer : nous ne sommes pas ces nomades désignés par Deleuze comme des voyageurs immobiles.

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    Utilisant la métaphore du voyage pour appréhender l'aventure philosophique, il s'agit de se poser la question de savoir dans quelle mesure les nouvelles pratiques philosophiques peuvent (ou non) faire l'économie des références à l'histoire de la philosophie et à ses philosophes.

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    Selon Frédéric Worms, spécialiste de la philosophie contemporaine, la pensée française au XXe siècle a connu quatre « moments ». Chacun d'entre eux est marqué par plusieurs voyages. D ...

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    La philosophie du voyage. Références de l'image. La philosophie a toujours pensé le voyage et s'est toujours elle-même pensée, et exprimée, en termes de voyage : de départ, de déplacement, d'arrivée...

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    Vers une philosophie du voyage. 50 Une véritable philosophie du voyage tend à se constituer de la sorte chez M me de Staël. On pourrait en distinguer trois étapes : d'abord sa condamnation comme simple vagabondage et forme subtile d'aveuglement, puis sa première et dangereuse sublimation en séjour, au risque de l'oubli du passé, et ...

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  13. Argumentation, étude du voyage initiatique, devoir bac

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  14. Voyager encore ? Le monde délivré du tourisme

    Revenir à la philo­so­phie du voyage est une ques­tion essen­tielle, parfai­te­ment d'actualité. Cela revient d'une part à travailler la ques­tion du sens : pour­quoi voyage-t-on ? Et d'autre part à cher­cher à comprendre : de quoi le tourisme est-il la conso­la­tion ?

  15. Les voyages forment-ils vraiment la jeunesse ?

    Une citation du philosophe Montaigne devenue proverbiale. C'est une façon de souligner le bienfait des voyages, la façon positive dont ils transforment celui ou celle qui voyage et précisément la manière dont ils aideraient les jeunes donc à apprendre et à s'ouvrir au monde.

  16. Sujet zéro n°3

    Déçu par ses études, dont il fait le bilan, le philosophe Descartes décide de voyager. C'est pourquoi, sitôt que l'âge me permit de sortir de la sujétion de mes précepteurs1, je quittai entièrement l'étude des lettres.

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  18. Philo

    Philo - le voyage. 377 mots 2 pages. Montre plus. Partir, voyager, est-ce entrer en contact avec un ailleurs féerique ? Si non, réponse à justifier, alors qu'est ce que cela permet sur soi ? Lorsque l'on voyage, on se sait jamais dans quel endroit on va tomber : on entre un monde inconnu.

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    Nous allons, pour cette dissertation, différencier deux types de voyage : Le voyage mental, celui de l'esprit, qui a lieu dans la tête, et le voyage physique, celui du corps, qui a lieu partout sur la planète.

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    voyage nous aide alors à nous recentrer sur l'essentiel, sur la vraie valeur des choses. CONCLUSION= Rappel de ce qui a été dit dans le développement + ouverture. Les voyages enrichissent donc nos connaissances sur les autres, sur le monde et sur nous-mêmes. Il n'en demeure pas moins que si découvrir d'autres contrées est facilité ...

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